«Ensemble»: l’amour à travers le son

Le documentariste Jean-Nicolas Orhon a filmé Yannick Nézet-Séguin et les musiciens de l’Orchestre Métropolitain pendant et dans l’année précédant leur tournée européenne. Le film Ensemble a pris l’affiche vendredi dans sa version intégrale de 90 minutes. Une version abrégée de 52 minutes sera diffusée sur ICI Artv lundi à 20 h 30.
Samedi 27 octobre 2018. Ensemble vient d’être présenté aux musiciens et à l’équipe du Métropolitain. Les larmes d’émotion affleurent ou coulent, les uns et les autres ont du mal à se séparer. Ce n’est pas de la vanité de s’être vu sur un grand écran. Voilà bien des gens qui sont loin d’avoir le luxe d’être vaniteux. En 90 minutes, les musiciens viennent de voir l’étendue du chemin parcouru, en 12 mois pendant l’année 2017, mais aussi depuis 35 ans. Plus encore, ils ont conscience que Jean-Nicolas Orhon a capté l’essentiel : l’esprit qui les unit, cet esprit qui fait qu’un orchestre, c’est autre chose que la somme de cent individus.
Solidarité et identité
Lorsque l’on atteint la quintessence de cette communion, lorsque le groupe devient « un grand couple à 100 personnes », comme le dit une musicienne dans le film, les « énergies réunies au même moment sont disponibles à la beauté ». Cette formule de Jennifer Bourdages, pianiste de l’orchestre, est l’une de celles qui illuminent comme de petites étincelles la version longue d’Ensemble.

Le film, émaillé de portraits d’instrumentistes, amène logiquement à la conclusion de Yannick Nézet-Séguin : « On ne peut faire de musique sans faire d’amour, sans faire l’amour. Les gens sont abasourdis d’entendre l’amour à travers le son. »
Au-delà d’un regard sur la musique ou d’un documentaire qui illustrerait le parcours menant un orchestre à vocation initialement locale à faire se lever des salles à Paris, à Hambourg ou à Amsterdam, Ensemble est un témoignage sur la résilience, la solidarité et le partage — la « multiplication d’âmes », une des autres belles formules entendues ici.
Il est dommage que Jean-Nicolas Orhon esquive le hiatus entre le prestige des décors des salles visitées et la réalité de la vie quotidienne du musicien d’un orchestre en manque de reconnaissance (en matière de soutiens publics) par rapport à son utilité sociale et ses accomplissements. Une bataille de la reconnaissance que mène désormais ouvertement Yannick Nézet-Séguin à l’égard de disparités de traitement à tous les étages. Un écart dont l’étendue ne se justifie plus.
Deux visions
La version cinéma de 90 minutes et le documentaire de 52 minutes qui sera diffusé lundi soir sur Artv, puis repris sur ICI Radio Canada pendant les Fêtes, ont un même substrat, mais deux natures différentes.
Le « vrai » film est avant tout une aventure humaine. L’ampleur, palpable, de cette aventure rend la musique encore plus touchante, étreignante. La version courte évacue les portraits individuels, les parcours et les destinées, au profit du projet collectif (la tournée), émaillé d’extraits de répétitions qui sont autant de portes ouvertes des considérations sur l’art et la musique dans nos vies.
Quelle que soit la version, Ensemble met le doigt sur l’importance de la musique classique comme îlot de sérénité, de réflexion, de méditation, ou de simple temps d’arrêt dans les turbulences de nos vies.
Ce film est important aussi et surtout parce qu’il témoigne sereinement et objectivement — on entend ainsi le chef dire à ses musiciens avant le concert de Dortmund : « Ne le prenez pas perso, mais ici les gens ne se lèvent pas pour applaudir », avant de voir la salle se lever comme un seul homme pour une standing ovation comme on n’en avait jamais vu ou presque là-bas ! — de ce qui peut être considéré comme le plus grand événement de la musique classique québécoise depuis la création de l’OSM il y a 84 ans.
En effet, ces dix jours, à l’issue desquels un orchestre à portée originellement régionale, offrant des débouchés professionnels aux musiciens québécois, a acquis une stature internationale, sous la houlette d’un chef québécois devenu une vedette planétaire, auront des suites.
Même s’il met un peu de temps à plonger dans le vif du sujet (les 30 premières minutes de la version longue sont très centrées sur le chef et la musique en répétition), Jean-Nicolas Orhon a filmé le déclic et, en même temps, documenté l’alchimie, la fierté, l’abnégation. Bref : l’ADN du Métropolitain et une identité que nul ne peut aujourd’hui snober ou contester.
Montrer la chose à l’écran permettra peut-être à ceux qui trouvent encore trop pratique de faire semblant de ne pas comprendre ce qui s’est passé en musique classique en 2017 au Québec. Ensemble et pour tous.