«La révolte des bonnes filles»: quand les femmes font la révolution textuelle

En 1970, trois recherchistes talentueuses, la délurée Patti Robinson (Genevieve Angelson, à droite), l’ambitieuse Jane Hollander (Anna Camp, à gauche) et la timide Cindy Reston (Erin Darke) réclament la parité à l’hebdomadaire où elles travaillent.
Photo: Artv En 1970, trois recherchistes talentueuses, la délurée Patti Robinson (Genevieve Angelson, à droite), l’ambitieuse Jane Hollander (Anna Camp, à gauche) et la timide Cindy Reston (Erin Darke) réclament la parité à l’hebdomadaire où elles travaillent.

En 2010, alors qu’elle rédige The Good Girls Revolt : How the Women of Newsweek Sued their Bosses and Changed the Workplace (PublicAffairs, 2012), la journaliste Lynn Povich rencontre de jeunes femmes journalistes du magazine. Ce qu’elle entend lors de cet entretien la renverse. Comme ces jeunes femmes savent peu de choses sur la poursuite intentée par 46 femmes du Newsweek en 1970 contre leur employeur pour discrimination sexuelle, Lynn Povich comprend que la situation n’est guère plus enviable que 40 ans auparavant.

« Ce dont je ne m’étais pas rendu compte avant de les rencontrer, c’est qu’elles étaient moins payées que les hommes embauchés en même temps qu’elles, qu’on leur confiait des sujets moins intéressants, qu’elles avançaient moins vite dans la boîte. Ayant été élevées dans un monde post-féministe, elles croyaient qu’elles pouvaient faire ce qu’elles voulaient. Ce qui m’a surprise, c’est qu’elles ne pensaient pas qu’il s’agissait de discrimination sexuelle, mais qu’elles n’étaient pas assez bonnes », explique Lynn Povich, jointe à New York.

Comme l’illustre la série de fiction La révolte des bonnes filles, en 1969, les femmes n’avaient pas le droit de signer des articles au Newsweek (renommé News of the Week dans la série). Même si elles accomplissaient parfois tout le boulot des journalistes, elles devaient se contenter du statut de recherchistes (enquêtrices dans la version doublée en France).

Fidèle fiction

 

Après que la future scénariste-réalisatrice Nora Ephron (Grace Gummer, fille de Meryl Streep qui a notamment joué dans Julie Julia, dernier film d’Ephron) eut claqué la porte, frustrée de ne pouvoir écrire, trois recherchistes talentueuses, la délurée Patti Robinson (Genevieve Angelson), l’ambitieuse Jane Hollander (Anna Camp) et la timide Cindy Reston (Erin Darke) réclameront la parité. Les aidera dans leur quête la future politicienne Eleanor Holmes Norton (Joy Bryant).

Bien que cette série d’Amazon de 2015 soit assez fidèle au livre de Lynn Povich et à la liberté sexuelle de l’époque, la créatrice Dana Calvo s’est permis quelques libertés avec l’histoire. « J’ai vendu les droits du livre à la condition que la série soit une fiction, afin que mes amies et moi ne devenions pas des personnages sur lesquels nous n’aurions aucun contrôle. Les scénaristes ont pris des éléments du livre et les ont mélangés afin de créer ces trois personnages féminins, mais l’arc dramatique est fidèle à la réalité. Comme nous étions jeunes, il y avait beaucoup d’action… Cela dit, on ne servait pas le café ! »

Par ailleurs, on retrouve dans La révolte des bonnes filles deux femmes qui ont marqué à leur manière l’histoire du Newsweek : « Dans le cas d’Eleanor Holmes Norton, je crois qu’on voulait lui rendre hommage parce qu’elle a tant fait pour la cause. Elle n’avait pas de problème avec ça ; elle était heureuse du traitement. Pour Nora Ephron, c’est un peu différent. Elle était une brillante recherchiste et ses dossiers étaient impeccables, mais elle a travaillé au Newsweek de 1962 à 1963. La productrice exécutive de la série, Lynda Obst, qui avait produit Sleepless in Seattle, était très proche de Nora, décédée en 2012. Elle a voulu honorer sa mémoire même si Nora n’était plus là en 1969. »

Problème récurrent

 

Près de 50 ans après avoir remporté avec ses consoeurs la bataille contre la discrimination sexuelle au Newsweek, Lynn Povich sait mieux que quiconque qu’il y a encore bien des combats à livrer pour l’égalité hommes-femmes.

« Nous avons certainement fait beaucoup de progrès, notamment en journalisme, où l’on voit des femmes correspondantes à l’étranger, couvrir des sujets politiques. Comme dans n’importe quel secteur, il y a encore peu de femmes à la tête de sociétés. Or, il faut que les changements viennent d’en haut. Nous n’avons pas encore abattu toutes les barrières, certainement pas celle de l’équité salariale, ni celle des congés parentaux, en tout cas, pas aux États-Unis, ni trouvé quoi que ce soit qui pourrait améliorer le sort de la femme. »

Si elle a confiance en la jeunesse qui s’engage, dans les femmes qui s’engagent en politique, la journaliste se montre toutefois pessimiste face au monde actuel, en cette ère de post-vérité.

« J’ai l’impression de vivre dans une réalité alternative ! J’ai récemment lu un texte à propos d’un homme persuadé qu’il n’y avait plus d’hommes blancs à la télévision. Pour lui prouver le contraire, l’auteure lui a montré des statistiques ; l’homme lui a dit qu’il comprenait ce qu’elle avançait, mais que ce n’était pas cela qu’il ressentait. Elle a donc conclu que les gens croient aux choses qu’ils ressentent et non aux faits. Sachant cela, nous pourrions peut-être convaincre les gens, je ne sais comment, de ne pas laisser leurs sensations entraver leur jugement », conclut Lynn Povich.

Quelques cas récents

Avril 2015 Virée du magazine Time, la journaliste Catherine Mayer intentera en 2017 une poursuite contre son ex-employeur pour discrimination fondée sur l’âge et le sexe.

Février 2017 Après avoir publié un article léger sur les poches de jeans pour femmes, Marie Kischen, de Buzzfeed France, se fait suggérer de se suicider parce qu’elle est féministe.

Mars 2017 Les trolls ont raison des chroniqueuses Judith Lussier (Métro), Geneviève Pettersen (Châtelaine) et Marilyse Hamelin (La semaine en rose).

Août 2017 Contrainte de déclarer les salaires annuels de ses employés, la BBC révèle l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Cela entraînera l’année suivante la démission de Carrie Gracie de son poste de rédactrice en chef de BBC en Chine.

Novembre 2017 La journaliste Nadia Daam reçoit des menaces de mort et de viol de deux cyberharceleurs après avoir fait une chronique sur Europe 1 où elle dénonçait des attaques haineuses envers deux militantes féministes.

Mars 2018 Une cinquantaine de journalistes de sport brésiliennes lancent la campagne Deixa Ela Trabalhar (Laisse-la travailler) pour dénoncer le harcèlement sexuel dont elles sont victimes.

Juillet 2018 Lors de la Coupe mondiale de football en Russie, la journaliste colombienne Julieth Gonzalez Theran lance le mot-clic #LetHerWork (#LaissezLaTravailler).

La révolte des bonnes filles (V.F. de Good Girls Revolt)

Artv, samedi, 22 h, en rediffusion dimanche, 16 h et mardi, 22 h