Fragments de polar

En 2016, la chaîne CBS annonçait qu’elle ferait revivre La quatrième dimension, populaire série anthologique de science-fiction présentée par Rod Serling dans les années 1960, de façon interactive sur sa plateforme numérique All Access. Tout en respectant l’essence de la série originale, ce reboot, confié aux bons soins de Jordan Peele (Get Out), Simon Kinberg (X-Men : Dark Phoenix) et Marco Ramirez (The Defenders), permettrait aux spectateurs de contrôler le déroulement de l’histoire, à la manière d’un jeu vidéo ou d’un livre dont vous êtes le héros.
En attendant que la nouvelle mouture de La quatrième dimension voie le jour, HBO s’apprête à dévoiler la nouvelle série du réalisateur Steven Soderbergh (The Knick) et du scénariste Ed Solomon (Insaisissables), Mosaic. Ce qui rend cette série de six épisodes différente des autres, c’est qu’elle existe déjà sur une application gratuite disponible aux États-Unis permettant au spectateur de naviguer à sa guise parmi les huit heures de vidéo mises à sa disposition.
Qui a tué Olivia Lake ?
Campé dans une station de ski de l’Utah, Mosaic met en scène Olivia Lake (Sharon Stone, excellente), célèbre romancière et illustratrice jeunesse. Superbe quinquagénaire au caractère bien trempé, Olivia ressent le besoin, au grand dam de son meilleur ami gai JC Schiffer (Paul Reubens, impeccable mais sous-utilisé), de lire le désir dans les yeux des hommes. Et elle le paiera très cher puisqu’elle est assassinée la veille du jour de l’An.
Qui est le coupable ? Joel Hurley (Garrett Hedlund), aspirant artiste et homme à tout faire qu’Olivia vient de virer ? Son amoureux éconduit Eric Neill (Frederick Weller), qui vient de lui avouer qu’il était un « arnacoeur » engagé par le mécène Michael O’Connor (James Ransone) et son acolyte Tom Davis (Michael Cerveris) pour la convaincre de leur vendre sa propriété ?
Après avoir visionné l’épisode d’introduction d’une vingtaine de minutes sur l’application, le spectateur peut décider de suivre un personnage plutôt qu’un autre, par exemple l’agent Nate Henry (Devin Ratray), qui mène l’enquête, ou Petra (Jennifer Ferrin), persuadée de l’innocence de son frère Eric, d’écouter ou non un message laissé sur un répondeur, de consulter ou non un article sur Internet.
Ce faisant, le spectateur risque de passer à côté d’un détail important ou de finir dans une impasse, ce qui l’oblige à reprendre le récit du début. L’expérience peut donc se révéler aussi excitante que frustrante. Qu’en est-il de la série diffusée sur HBO ? À l’instar de toutes les séries traditionnelles, elle se laisse regarder passivement. En fait, le seul élément rappelant le plaisir de l’interactivité est la manière dont est conçu le grand succès littéraire d’Olivia.
Du téléphone à la télé
Ce qu’il y a de remarquable dans ce livre pour enfants d’Olivia, c’est que lu dans un sens, il raconte l’histoire d’une famille d’ours terrorisée par un chasseur, et lu dans l’autre sens, celle d’un chasseur chassé par des ours. Or, selon le regard qui est posé sur Olivia, elle apparaît tantôt telle une cougar assoiffée de chair masculine fraîche, tantôt comme une proie vulnérable pour jeunes hommes sans scrupule.
Alors que l’on découvre la complexité d’Olivia, fascinant personnage s’il en est, à travers les flashbacks dans la série, on imagine sans peine le plaisir d’un spectateur tentant de réunir les morceaux du puzzle dans l’application. Dépourvue de cette dimension ludique, la série Mosaic apparaît comme un thriller bizarrement construit, où les revirements se devinent trop facilement, où certains personnages semblent abandonnés abruptement à leur sort. De nombreux plans trop serrés donnent l’impression que Mosaic semblait n’être destinée qu’à devenir un jeu sur un téléphone intelligent.
L’avenir de la télé repose-t-il sur les séries interactives ? Il est encore trop tôt pour poser un verdict. Une chose est sûre, l’expérience télé de Mosaic ne convainc qu’à moitié et ramène constamment sur le tapis une question : pourquoi les créateurs tiennent-ils à laisser les spectateurs tenir les rênes du récit ? On attend toutefois avec impatience ce que réservent les prochains épisodes interactifs de La quatrième dimension.
Oeuvres interactives
Émilie (2013) : Avant de sortir au grand écran, la comédie sentimentale de Guillaume Lonergan mettant en vedette Émilie Bibeau a été une websérie interactive transmédia (téléphonie, messagerie, réseaux sociaux) de Jean-Christophe Yacono développée pour Radio-Canada.Wei or Die (2015) : Fiction créée par Simon Bouisson pour France Télévisions offrant au spectateur la possibilité de suivre les personnages de son choix grâce à différentes caméras.
Late Shift (2016) : Long métrage de Tobias Weber produit avec la télévision publique suisse alémanique, Late Shift permet au public de choisir parmi sept fins possibles à l’aide de son téléphone intelligent.
Tantale (2016) : Jean-Luc Bideau incarne le président de la République alors qu’il défend la candidature de la France aux JO dans cette fiction de Gilles Porte aux vingt-cinq scénarios et cinq finales possibles.
Buddy Thunderstuck : la pile des peut-être (2017) : Dans ce court métrage d’animation de Netflix, l’enfant devient le complice de deux turbulents personnages.
L’épopée du chat Potté, prisonnier d’un conte (2017) : Dans ce court métrage d’animation de Netflix, l’enfant incarne le héros félin de Shrek.