«Black Mirror»: dans un futur de plus en plus proche

En 2011, Black Mirror démarrait en lion à Channel 4. Créée par Charlie Brooker, journaliste et chroniqueur télé pour The Guardian, la série d’anthologie dystopique illustrait notre rapport, voire notre dépendance, à la technologie dans un futur pas si lointain.
Intitulé « L’hymne national », le premier épisode plongeait le spectateur en plein cauchemar. Afin d’empêcher l’assassinat d’un membre de la famille royale, le premier ministre était forcé d’avoir une relation sexuelle avec un porc en direct à la télévision et sur les réseaux sociaux.
Alors que l’entourage du politicien cherchait par tous les moyens à berner le ravisseur de la princesse, partout dans les pubs, dans les rues, dans les chaumières, chaque citoyen était rivé à son écran — le fameux « miroir noir » auquel renvoie le titre de la série — dans l’attente du spectacle scandaleux. Angoissant et malsain à souhait, ce premier épisode renvoyait une image peu reluisante de l’être humain, transformé ici en voyeur pathologique.
Dans le deuxième épisode, « 15 millions d’entrées », le salut de l’homme passait par une apparition triomphante à une émission de téléréalité menée par d’impitoyables juges et regardée par un public aussi cruel. Les participants étaient prêts à tout pour séduire l’assemblée…
Tout aussi troublant, le troisième épisode, « Retour sur image », mettait en scène un avocat soupçonnant sa femme d’adultère. D’une prémisse classique, l’épisode, où les personnages étaient munis d’une puce leur permettant de stocker leurs souvenirs et de les projeter sur écran, proposait une pertinente réflexion sur la notion de vie privée et d’intimité.
Regarder «Black Mirror» ou pas? La réponse de Manon Dumais :
La deuxième saison, composée de trois épisodes et d’une spéciale de Noël, poursuivait dans la même veine, tantôt sur une trame dramatique, tantôt façon comique, mais toujours avec cette vision grinçante d’une réalité pas si loin de la nôtre porteuse d’une réflexion aiguisée sur une humanité en décalage avec la technologie.
Or, en passant aux mains de la plateforme américaine Netflix, il semble que la série britannique ait perdu de son mordant, paraisse plus lisse, moins corrosive, et ressasse déjà les mêmes thèmes. Charlie Brooker serait-il à bout de souffle, en mal d’inspiration ? Black Mirror aurait-elle fait son temps ? Le futur que la série dépeint serait-il si proche qu’il ne nous impressionne plus autant ?
Des airs de déjà-vu
Jusqu’où peut-on s’immiscer dans l’intimité de nos enfants pour les protéger ? Réalisé par Jodie Foster (Le petit homme), « Arkangel », premier des six épisodes de la quatrième saison, met en vedette Rosemarie DeWitt dans le rôle d’une mère qui apprendra à ses dépens qu’il y a des limites à vouloir tenir sa fille hors de danger.
Ainsi, après que celle-ci lui eut échappé lors d’une sortie au parc, la mère se procure un système de sécurité lui permettant de savoir en tout temps où se trouve sa fille. Le système lui permet aussi de brouiller les images qui pourraient angoisser l’enfant en plus de pouvoir visionner sur l’écran tout ce qu’elle voit. Un épisode doux-amer qui devrait ébranler les parents surprotecteurs.
Sur un ton plus léger, « USS Calliste », de Toby Haynes, coécrit par William Bridges et Charlie Brooker, devrait amuser les fans de Star Trek, la série originale des années 1960. Afin de se venger de ses collègues qui le méprisent, un programmeur de génie (Jesse Plemons) vole des échantillons de leur ADN afin de les transformer en personnages d’un jeu de réalité virtuelle inspiré de sa série de science-fiction préférée. Le tout se corse lorsqu’il y projette une nouvelle employée (Cristin Milioti) qui ne supporte pas le tempérament tyrannique du capitaine. Il y a de fortes chances que les geeks mésadaptés socio-affectifs grincent des dents devant cet épisode par moments jouissif.
L’intérêt de « Crocodile », de John Hillcoat (La route), rappelant l’épisode « Retour sur image », réside surtout dans l’interprétation à glacer d’Andrea Riseborough et le jeu sensible de Kiran Sonia Sawar. La première y incarne une femme de carrière qui commet un geste irréparable lorsqu’un événement survenu dans sa jeunesse menace de faire surface. La seconde campe une agente d’assurance qui visionne les souvenirs des témoins d’accidents. De fil en aiguille, les images récoltées par la seconde la mèneront à la première. Si la technologie mise en place a tout pour faire saliver les policiers et autres représentants de la justice, elle a de quoi ébranler quiconque par sa manière de violer l’intimité.
Dans l’esprit de « San Junipero », émouvant quatrième épisode de la troisième saison où deux femmes tombaient amoureuses dans une réalité virtuelle, « Hang the DJ », de Timothy Van Patten (Boardwalk Empire), offre une vision cynique de la mécanique des rapports amoureux. S’étant épris l’un de l’autre grâce à une application de rencontre, une jeune femme (Georgina Campbell) et un jeune homme (Joe Cole) sont forcés de se séparer lorsque ladite application leur désigne de nouveaux partenaires. Romantiques, s’abstenir…
Tourné en noir et blanc, « Metalhead », de David Slade, met en scène une femme (Maxine Peak) poursuivie par un robot canin meurtrier dans un univers post-apocalyptique. En résulte un jeu du chat et de la souris peu palpitant et peu substantiel.
Vers une nouvelle mouture ?
En guise de dernier épisode, Charlie Brooker propose « Black Museum », réalisé par Colm McCarthy (Peaky Blinders), qui n’est pas sans évoquer la série créée par Roald Dahl, Bizarre, bizarre. Douglas Hodge y incarne un truculent gardien de musée dans un bled perdu des États-Unis qui se fait un plaisir de recevoir une visiteuse britannique (Letitia Wright), à qui il présente d’étonnants artefacts.
Parmi les objets populaires du musée se trouvent un casque permettant aux médecins de ressentir la douleur des patients, une peluche contenant l’esprit d’une femme comateuse et l’hologramme d’un détenu condamné à revivre sans cesse une exécution à la chaise électrique.
Chaque bref récit narré par le gardien du musée remet une fois de plus en question la notion d’intimité et, à l’instar de « Be Right Back », premier épisode de la deuxième saison, où une femme se procurait un androïde contenant la conscience de son défunt partenaire, la quête d’immortalité à travers la technologie.
Ce faisant, l’épisode montre les limites de la série Black Mirror, dont les épisodes finissent par trop se ressembler et peinent de plus en plus à approfondir chaque thème. À sa façon, « Black Museum » paraît sonner le glas de la série. À moins que ce dernier épisode annonce la forme que pourrait prendre la cinquième saison, s’il y en a une.
Des séries dystopiques à découvrir
Le dôme (2013) Dans le Maine, des habitants sont coupés du monde le jour où apparaît un dôme invisible englobant leur ville.12 Monkeys (2014) En 2043, à la suite d’un virus ayant décimé 99 % de la population, les survivants sont contraints de vivre sous terre.
Les 100 (2014) Quelques décennies après la Troisième Guerre mondiale, une centaine de descendants de survivants s’étant réfugiés dans des stations spatiales sont envoyés sur la Terre.
The Leftovers (2014) Dans une petite ville près de New York, trois ans après que 2 % de la population a disparu, des gens sont confrontés aux agissements d’une secte.
Humans (2015) Dans un présent alternatif, certains robots domestiques programmés pour obéir aux êtres humains s’avèrent dotés d’une conscience propre.
3 % (2016) Afin de faire partie des riches, qui forment 3 % de la population, les gens doivent se soumettre à différentes épreuves.
Trepalium (2016) En France, 80 % de la société est sans emploi. De l’autre côté du mur, ceux qu’on appelle les Actifs sont les seuls à avoir accès à l’eau potable.
Westworld (2016) Dans un parc d’attractions futuriste recréant la Conquête de l’Ouest, des androïdes deviennent incontrôlables à la suite d’une mise à jour du système.
Transferts (2017) Dans un futur proche, l’esprit d’un père de famille dans le coma est transféré dans le corps d’un policier enquêtant sur les transferts illégaux d’esprits.