Atteindre l’Élysée en quatre étapes faciles

Vouloir être président de la France, est-ce normal, docteur ? Diagnostic : que non ! En se rêvant à voix haute comme le « président normal », François Hollande aura été un chef contre nature, en complet décalage avec une institution qui n’a rien de normal. C’est peut-être, d’ailleurs, ce qui lui a valu le titre de président le plus détesté de la Ve République, au point de baisser pavillon et de ne pas se présenter à sa propre succession.
C’est ce qu’on peut comprendre en regardant le documentaire Comment gagner une élection présidentielle en 4 étapes, qui arrive à point nommé, au terme d’une campagne électorale qui, elle non plus, n’aura été en rien normale. Présenté en autant d’épisodes d’une heure chacun, le documentaire explore la méthode qu’un Français doit suivre, d’A jusqu’à Z, pour parvenir au saint des saints, le palais de l’Élysée. Étape 1 : être candidat. Étape 2 : monter un programme. Étape 3 : avoir des électeurs. Étape 4 : tenir jusqu’au bout.
D’entrée de jeu, dans les vallées verdoyantes et les pics enneigés des Pyrénées, une rencontre avec le député et candidat présidentiel Jean Lassalle nous révèle la personnalité type de celui qui se croit investi d’une mission providentielle. Candidat mineur, sans chance aucune de gravir un jour les marches du palais de l’Élysée, on le voit néanmoins « habité et mystique », comme le résume son intervieweur. Difficile, ajoute même ce dernier, de ne pas voir un « délire » dans cette ambition.
Mais c’est là une conséquence directe de la volonté de Charles de Gaulle, fondateur et premier président de la Ve République, qui introduisit l’élection du président au suffrage universel. Car, à bien y penser, aucune démocratie occidentale n’a imaginé un poste de chef de l’État à la stature plus puissante et plus grandiose que la France. La Maison-Blanche peut bien sembler plus puissante que l’Élysée, c’est un trompe-l’oeil. Les pères fondateurs ont pris bien soin de la flanquer de poids et de contrepoids afin de contraindre son pouvoir. En France, le Général n’a pas imaginé tel système — hormis, il est vrai, lorsqu’il y a « cohabitation » entre un président issu d’un parti et une Assemblée nationale contrôlée par un autre parti. Mais ce cas de figure que ne désirait pas de Gaulle ne fut réalité que neuf années au total depuis 1958. Et les chances que cela se reproduise se sont encore réduites depuis des réformes menées au début des années 2000…
Loin du format classique, le réalisateur Benjamin Carle a pris une voie ludique pour nous mener dans son marathon de quatre heures. Mais, sans se prendre au sérieux, l’information livrée et les intervenants interviewés, eux, « c’est du sérieux » (pour citer, au passage, Nicolas Sarkozy à propos de sa relation alors naissante avec Carla Bruni…). C’est du lourd.
De grands politologues et sociologues de la France nous expliquent tantôt les prérequis constitutionnels pour être candidat, tantôt les tendances dans le contenu des programmes (saviez-vous que le général de Gaulle a été le seul candidat à ne pas présenter de programme ? Qu’on ne les chiffre que depuis 1988, gracieuseté de Raymond Barre ? Et que leur importance diminue depuis l’introduction des primaires ?).
Des experts des communications, même s’ils étaient conseillers du socialiste François Mitterrand, nous confient leur admiration du « génie » du gaulliste Jacques Chirac en la matière. Ou encore nous expliquent que Valéry Giscard d’Estaing (VGE pour les intimes) fut le premier candidat présidentiel à miser sur sa vie privée dans sa stratégie de « comm », ouvrant ainsi la voie à un Sarko qui abusa du procédé à en faire déborder l’amphore.
On rencontre dans ses appartements un Jean-Marie Le Pen convaincu que les débats présidentiels ont une influence sur les intentions de vote, inébranlable devant les politologues qui affirment le contraire. On écoute les conseils des vétérans de la politique, tel l’ancien premier ministre, ministre, président de conseil régional, sénateur et eurodéputé Jean-Pierre Raffarin qui nous explique, les dents et le poing serrés, que les deux semaines qui séparent le premier du deuxième tour s’apparentent à un « combat mano a mano ». « C’est quelque chose de physique. »
Loin d’être barbant ou trop « pédago », sinon à l’occasion, le documentaire gagne en intensité dramatique au fil des étapes, à la manière d’une campagne à mesure qu’elle se rapproche du scrutin. Le mot de la fin — ou presque — revient au psychiatre bien connu et vulgarisateur du concept de résilience, Boris Cyrulnik, qui résume, devant un ring de boxe, ce qui fait le candidat parfait pour l’emporter : « Il a une tête de gendre, parle comme au cinéma. Les arguments sont tout à fait secondaires. Le programme, vous ne le tiendrez pas mieux que les autres. C’est donc : provoquer l’extase amoureuse, servir ce qu’espèrent les gens, leur dire “vous êtes merveilleux”, “aimez-vous les uns les autres”, mais “détestez ceux qui vous empêchent d’être heureux”. Là, vous aurez des chances d’être élu président. Et là, vous viendrez me voir, parce que vous serez déprimé. »
Car commence alors ce « calvaire délicieux » au cours duquel on souffre pendant cinq ans — le temps d’un mandat présidentiel. Comment franchir cette nouvelle étape ? La méthode dans un prochain documentaire, peut-être.