Radio-Canada et TVA gagnent presque tout

Les choix ont des conséquences. Le gala final de distribution des prix Gémeaux se concentre autour des émissions les plus populaires (séries et variétés) et de leurs interprètes-vedettes (y compris les animateurs). La formule reprise cette année a pour conséquences de favoriser au final les grands réseaux généralistes et leurs productions hyperpopulaires.
La 31e soirée des prix Gémeaux distribuait dimanche soir treize récompenses en direct du théâtre Saint-Denis de Montréal. Les lauriers sont saupoudrés entre onze émissions : Les pays d’en haut et Unité 9 (deux prix chacune, dont ceux des meilleures séries dramatiques), Les beaux malaises (meilleure comédie), La voix (meilleure émission de variétés), O’ et Marche à l’ombre (pour des premiers rôles), Bye Bye 2015, Gala ADISQ 2015, Tout le monde en parle, Génial ! et Virtuose (chaque fois pour l’animation).
Le gala annuel de l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision était présenté dimanche soir sur la chaîne ICI Radio-Canada Télé. La soirée récompense le meilleur de la télévision québécoise depuis 1987.
Radio-Canada diffuse huit des émissions gagnantes, TVA trois (Les beaux malaises, La voix et O’), TQ (Génial !) et Super Écran (Marche à l’ombre), une chacune. C’est une des seules évidences à souligner dans un gala lisse, sans anicroche, consensuel et généreux comme cette ovation réservée à l’animatrice Josée Boudreault, victime d’un AVC en juillet.
Martin Matte, qui recevait le Gémeaux pour la meilleure série comique (le 20e de ses Beaux malaises), a déridé la salle en blaguant sur les récents problèmes de santé d’Antoine Bertrand, qui lui a arraché le prix pour un premier rôle masculin dans une comédie au gala d’avant-première. « Sa crise cardiaque a joué dans la décision », a-t-il osé et proposé.
La liste des treize lauréats finaux, réputés les plus prestigieux, laisse en rade Série noire, qui avait accumulé un record de 13 nominations à autant de prix, tout comme Unité 9. L’avant-première de dimanche après-midi a aussi laissé la production bredouille tandis que Les beaux malaises repartait avec trois prix (texte, réalisation et interprétation pour Julie Le Breton). La dernière saison de Série noire a par contre touché quatre récompenses techniques (musique, distribution, photographie et décors) lors d’une distribution précédente mardi dernier.
Cette perspective et ces résultats rappellent à quel point la télévision québécoise et sa trentaine de réseaux francophones sont encore dominés par ses deux chaînes historiques, TVA et RC. C’est là que se retrouvent les séries les plus populaires et certaines réputées parmi les plus innovantes, Marche à l’ombre constituant une exception.
Bon an mal an, les chaînes de Bell (anciennement Astral) reçoivent entre 45 et 50 nominations. Par contre, les chaînes spécialisées d’ici produisent peu de fictions sérielles, de grandes variétés ou de jeux récompensés au gala final. Aux États-Unis, par contraste, le meilleur de la télévision contemporaine en feuilleton se retrouve sur les réseaux spécialisés (HBO ou Netflix, par exemple), comme l’a montré la soirée des Emmys, diffusée en même temps que celle des Gémeaux.
Le stress de Wauthier
Jean-Philippe Wauthier avait quitté pour l’occasion son émission radiophonique du weekend La Soirée est (encore) jeune, sur la Première chaîne. Il y était remplacé par Pierre Brassard, dans une captation en direct du complexe Desjardins à Montréal, où se réunissaient les invités avant la soirée. L’émission radiophonique a tourné à la joyeuse cacophonie, au point où le remplaçant a pris la peine de souligner qu’il ne s’agissait pas d’une émission spéciale de soirée électorale.« J’ai rarement aussi stressé dans ma vie », a confié Jean-Philippe Wauthier dans l’émission d’après-gala. Lui et son acolyte Éric Salvail ont commencé la soirée avec les petites piques d’usage au parterre réunissant le 1% de l’Union des artistes. Rien de très méchant, comme pour le reste. Le duo comique a ainsi souligné la fin de plusieurs émissions: Yamaska, Nouvelle adresse, La théorie du K.O. et Les Parent. Cette dernière se terminait après huit saisons. « On ne vous dira jamais assez merci pour cinq excellentes saisons », a ironisé Philippe Wauthier.
« Je suis très heureux du numéro d’ouverture », a dit M. Salvail en parlant du moment où a été prononcée cette petite vanne. « Pour le reste, on a été dans bien des directions, avec de l’émotion quand Josée Boudreault est arrivée, et même la première dame. »
Sophie Grégoire Trudeau, première dame canadienne, présentait le tout premier prix de la soirée à Laurence Leboeuf pour son premier rôle dramatique dans une émission saisonnière. Elle a étrillé Éric Salvail en lui faisant croire que l’animateur vedette américain Jimmy Fallon suivait son émission En mode Salvail (V) avant de lui avouer que c'était une blague.
Une persistance de 400 ans
En recevant son propre Gémeaux, Guy Nadon a surfé sur la blague de Mme Grégoire, elle-même ancienne animatrice télé. Il a ajouté ne pas du tout s’en faire si Jimmy Fallon ne sait pas ce qui se fait ici au Québec, « un monde de persistance depuis 400 ans », a-t-il ajouté.M. Nadon reçoit son 9e Gémeaux, et son 5e pour son premier rôle dramatique dans O’. Il a encore été un des plus magistraux dans ses remerciements en célébrant le métier d’acteur pratiqué par « quelqu’un qui quitte la salle, monte sur scène, se retourne et parle à la scène d’elle-même ».
Guylaine Tremblay repart aussi avec une 9e statuette, et encore une fois pour son rôle de Marie dans la série dramatique annuelle Unité 9. Elle a utilisé ses remerciements pour saluer son père, qui fêtait hier son 78e anniversaire.
Vincent Leclerc (le nouveau Séraphin des Pays d’en haut) repart avec la statuette pour l’équivalent dans un premier rôle masculin. Il s’agit du quatrième Gémeaux pour la série de Radio-Canada après ceux pour la réalisation, le montage et les costumes, reçus en avant-première.
Les remises réservaient quelques belles surprises et trouvailles originales. Le prix de l’animation pour une émission jeunesse a été remis à Gregory Charles (Virtuose) par le trio de Télé-Pirate (140 émissions entre 1991 et 1996), Guy Jodoin, Élise Marquis et Christian Bégin, qui a joyeusement déliré. Bégin a fini par dire que son ancienne émission, en riant des gros et des pas beaux, dénonçait le capitalisme sauvage.
On peut consulter les listes complètes des lauréats des différentes distributions de l’Académie sur son site.
Relire la couverture en direct de notre journaliste Manon Dumais