Koriass, rappeur enragé

Quand Sabrina Hammoum s’est mis en tête de tourner un documentaire sur Koriass, il n’était certes pas question pour elle, ni pour le rappeur, de réaliser une musicographie classique. Surtout pas celle du genre où une voix tonitruante annonce que l’artiste tombe dans l’enfer de la drogue au retour de la pause.
L’enfer, Emmanuel Dubois, l’homme posé et réfléchi qui se cache derrière cette bête de scène nommée Koriass, l’a pourtant connu. Celui de la pauvreté. Celui d’être né dans une famille dysfonctionnelle. Celui de la dépression aussi, peu après la naissance de sa fille aînée. Et, bien sûr, le choc de découvrir que Geneviève East-Goulet, l’amour de sa vie et mère de leurs deux filles, avait connu l’enfer du viol.
« Ce qui m’intéressait, c’était l’histoire de l’homme derrière l’artiste, ce qui l’avait construit, les épreuves qu’il avait dû traverser pour devenir l’artiste qu’il est aujourd’hui. Manu est quelqu’un de très sensible, de très attachant ; il a été très généreux avec moi. Malgré ses grandes réussites, c’est quelqu’un qui doute, qui a des appréhensions, qui a peur de l’échec comme tout le monde. C’était aussi important pour moi de montrer les femmes de sa vie : sa mère, sa blonde, ses filles. Elles sont de grandes pièces du puzzle », explique Sabrina Hammoum.

Alors que Koriass se cache lui-même derrière des alter ego (Kori Hart, Kori Jon Il), Emmanuel Dubois a laissé tomber les masques au moment de se confier à la caméra de Sabrina Hammoum.
« Quand Sabrina m’a approché pour le docu et que j’ai décidé d’embarquer, je ne voulais pas que ça reste en surface, j’y suis donc aller “all in”, se souvient-il. Il a fallu que je prenne du recul afin de me rendre compte que j’avais une histoire qui pouvait être intéressante. Je pense que le docu peut être très inspirant pour les jeunes de la même façon que ma musique. »
Endosser un personnage devant la caméra, ce sera peut-être pour une autre fois, laisse entendre l’artiste, qui a déjà flirté avec l’art dramatique. « Si je le fais, ce ne sera pas pour jouer ma vie comme Eminem dans 8 Mile. Je voudrais faire quelque chose de plus vaste que ça. Quand Loui Mauffette m’a demandé de jouer dans Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, j’y ai présenté une chanson, mais j’ai aussi joué un texte de Patrice Desbiens avec Julie LeBreton. C’était si plaisant que je me suis dit qu’il fallait que je le refasse », révèle celui dont la belle gueule rappelle Marc-André Grondin.
Féministe engagé
Avant de tourner Koriass, revenir de loin, le rappeur n’avait pas encore acquis la notoriété qu’il a aujourd’hui. Il n’avait pas encore publié ce texte devenu viral dans Urbania en juillet 2015, « Natural Born Féministe », où il dénonce la culture du viol en racontant le viol de sa compagne. Alors que Koriass se dévoile dans son rap introspectif, le voir se raconter à l’écran risquait d’être redondant. Surtout pour ses jeunes fans, aux yeux desquels il fait figure de mentor.
« Comme je faisais une entrevue de fond, je savais que j’avais droit à des détails qu’on ne trouvait pas dans ses chansons, pas des détails sur les faits, mais plus sur ce qu’il ressentait. J’avais donc plein d’avenues que je pouvais explorer. Jamais je n’ai dit à Manu de s’empêcher de parler de certains sujets à l’extérieur du cadre du tournage. J’ai laissé la vie suivre son cours », raconte la réalisatrice.
Quand le texte est paru, Sabrina Hammoum affirme tout de même avoir eu peur : « Je me demandais ce que j’allais pouvoir dire de plus. Au départ, la séquence où on voit Manu en conférence n’était pas prévue. C’est Martin Gagnon, le monteur, qui m’a dit que je devais aborder la question de la culture du viol puisque c’était une façon de concrétiser l’engagement de Manu. Ce qui était important pour moi, c’était ensuite de donner la parole à Geneviève, qui avait fait preuve de générosité en permettant à son chum de raconter son histoire. »
« Dans la vie, je ne me laisse pas marcher sur les pieds, mais je ne suis pas enragé tant que ça, même si les injustices que je dénonce, comme la culture du viol, m’enragent souvent. Quand j’ai commencé à être engagé, je me suis rendu compte que la culture du viol était une culture du silence où les filles se ferment la gueule. Il y a une incompréhension de ce qu’est le consentement. Mon moteur, c’est de savoir que je peux aider en donnant des conférences. »
Faire oeuvre utile
À l’instar du documentaire L’envol des aigles, qu’elle avait réalisé avec son mari Loïc Guyot, producteur de Koriass, revenir de loin, Sabrina Hammoum souhaite présenter son nouveau film aux jeunes afin de les sensibiliser aux sujets délicats qu’elle y aborde avec respect dans une atmosphère feutrée.
« Il faut qu’un documentaire soit utile, qu’il soit vu le plus possible, croit la réalisatrice. Avec Manu, on aimerait le présenter dans des écoles. Il y a beaucoup de discussions qui peuvent en sortir, qui vont au-delà de son histoire personnelle et qui vont rejoindre bien des jeunes. Je voulais que le film donne de l’espoir, qu’il montre que, même si on vient d’un milieu modeste, d’une famille de gens brisés, on peut en sortir et même devenir un modèle. Pour moi, Manu est un beau modèle positif. »
Souhaitant un jour terminer ses études secondaires, celui qui se définit comme un « street intello » admet que c’est son amour des mots qui l’a sauvé. « Faites ce que je dis, pas ce que je fais », lance Koriass aux jeunes. « Quand je parle du fait que je n’ai pas fini l’école, je parle aux jeunes en tant qu’adulte qui a fait des erreurs et les encourage à ne pas faire les mêmes que moi. Quand j’ai vu le docu la première fois, je l’ai vraiment vu comme un outil pour les écoles secondaires et j’espère qu’il le sera. »