Justice pour tous

« Nous favorisons une approche fondamentalement humaine », dit la réalisatrice de « Justice », Catherine Proulx.
Photo: Télé-Québec « Nous favorisons une approche fondamentalement humaine », dit la réalisatrice de « Justice », Catherine Proulx.

Il y aurait une vingtaine de gangs de rue sur l’île de Montréal rassemblant entre 300 et 500 membres, dont une moitié de mineurs. Le Centre de jeunesse de Montréal intervient avec des moyens spécialement adaptés auprès de cette clientèle difficile. Un atelier rassemble des ennemis de la rue (Les Bleus, Les Rouges…) avec des éducateurs qui les laissent s’exprimer et débattre.

Le travail social utilise aussi un jeu de rôle demandant aux participants de s’imaginer dans certaines situations avec la consigne de ne pas récidiver dans le crime. Et c’est parti.

Un jeune offre à un autre un braquage. « On a juste besoin de forcer la porte. Et il y a 700 000 cash. Impossible qu’on nous mente. » L’autre répond. « Je suis rentré en dedans et on m’avait dit que c’était impossible de se faire prendre. Yo. J’ai des restrictions. »

La tension monte, les mots claquent et les arguments se font de plus en plus insistants. L’intervenante arrête l’expérience. Elle fait prendre conscience aux participants qu’ils sont « un soutien, mais aussi un danger l’un pour l’autre ». Son collègue pose la question fatale : « Dans la vraie vie, aurais-tu succombé à la tentation ? » Le délinquant avoue que oui…

Trois archétypes

 

Cette scène unique fait partie du troisième volet de la trilogie documentaire Justice, qui propose un panorama original et percutant du système judiciaire autour de trois archétypes : le jeune contrevenant, la victime d’acte criminel et l’ex-détenu. Chacun a droit à un exposé patient et empathique d’une heure qui fait honneur au documentariste.

Ce travail impressionnant a été réalisé par Catherine Proulx, qui signe aussi le scénario. Elle collabore encore avec la productrice Karine Dubois, de la maison Picbois Productions, après un premier projet sur le milieu carcéral, Un trou dans le temps (2008), qui donnait la parole à des condamnés à de longues sentences.

« Quand on tournait Un trou dans le temps, un jeune emprisonné pour un double meurtre commis à 18 ans, membre d’un gang de rue, était très émotif par rapport à son délit, raconte la réalisatrice Catherine Proulx. Il m’expliquait devoir vivre avec les meurtres et leurs conséquences sur les familles alors que tout ça n’avait aucun sens. Sa réflexion m’a beaucoup marquée. Je ne crois pas qu’on puisse donner un sens au crime. Mais je me suis mise à me demander ce qu’on faisait avec les jeunes délinquants comme lui, comment on les aidait, comment on aidait les victimes aussi, et ce qu’il allait arriver à cet homme à sa sortie de prison, dans de nombreuses années. De là l’idée de s’intéresser à la justice en abordant tous ces aspects. »

Il a fallu des années pour y arriver, pour tourner des scènes comme celle décrite plus haut. Les accès aux lieux d’enfermement comme aux victimes ont été facilités par le premier film. Une fois « en dedans », Catherine Proulx et Karine Dubois ont travaillé lentement, avec un immense respect pour leur sujet complexe.

« Nous favorisons une approche fondamentalement humaine, dit la réalisatrice. On ne cherche pas à coincer les gens. On les écoute, on les entend, on les comprend. »

La cinéaste explique favoriser le long terme. La préparation se fait sur des mois, voire des années. Elle lit beaucoup, mène des préentrevues, rencontre les sujets sans caméras ni micros. « Je suis allée souper au centre jeunesse tous les lundis pendant cinq semaines avant de commencer le tournage. Je fais de la recherche terrain. Quand je sors la caméra, je connais la réalité que je documente. Je sais ce qui se passe et les gens me font confiance. »

Le contexte sociopolitique a aussi son importance. Quand Mme Proulx s’est lancée dans ce chantier, le gouvernement Harper faisait adopter la loi C-10 sur la réforme de la justice criminelle forçant des sentences plus sévères pour les adolescents délinquants et même des peines pour adultes dans certains cas. La ligne dure face aux durs se développait avec une division manichéenne des « bons » et des « méchants » qui déplaisait à la cinéaste.

« On nous disait que pour aider les victimes, il fallait mettre les gens plus longtemps en prison et enfermer les jeunes délinquants plus tôt. Pour moi, ça n’avait pas de sens. En plus, on ne parlait pas des solutions de réhabilitation ou de justice réparatrice qui fonctionnent. »

A-t-elle pour autant accouché d’une minisérie documentaire engagée ? Le thème ne déplaît pas à Mme Proulx, même si elle nuance son application.

« C’est une série qui prend position en faveur de la réhabilitation, c’est clair, conclut-elle. Je comprends bien qu’elle est impossible pour certains détenus incarcérés. Mais en cherchant à faire peur aux gens, en mettant l’accent sur la sécurité et en faisant croire que nous sommes tout le temps en danger, on oublie ce qui se fait de bien en justice ici et qui fonctionne. »

Justice

Télé-Québec, les lundis 29 février, 7 mars et 14 mars à 21 h

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