L’enfant volé

Il n’y a pas pire drame au monde pour un parent. Perdre un enfant, dans un accident par exemple, c’est déjà d’une cruauté infinie. Mais vivre sa disparition dans un enlèvement et ne jamais savoir ce qui lui est arrivé exactement, on ne peut pas imaginer plonger plus bas dans le drame.
Cette situation d’une douleur incommensurable a naturellement inspiré un tas d’histoires. Le romancier anglais Ian McEwan a écrit un triste chef-d’oeuvre, L’enfant volé, où la disparition de la petite Kate sert finalement à exposer la thèse que le temps ne guérit pas toutes les blessures. Des séries télé et des films ont régulièrement exploré le thème d’autant plus porteur qu’il évoque de vraies de vraies tragédies.
The Missing (Disparition) se risque donc sur ce terrain surchargé de potentiel dramatique et en même temps potentiellement casse-gueule, puisqu’il faut impérativement éviter les clichés et les redites. Le résultat s’avère très satisfaisant avec en prime des intrigues complexes entrelacées autour de l’effroyable noyau central.
L’histoire ouvre en 2006 sur les Hugues, famille d’Anglais en vacances estivales en France. Il y a le père, Tony, la mère, Emily, et leur adorable petit Oliver âgé de cinq ans.
Leur voiture tombe en panne. Ils s’arrêtent pour une nuit dans la ville de Châlons-du-Bois, surchauffée en cette période de Coupe du monde de foot.
Le soir, le père et son fils vont se baigner à la piscine municipale. Avant de rentrer, ils s’arrêtent au bar de la piscine, parce que le petit a soif. Le bar est surchargé de clients. Tony s’éloigne momentanément pour passer sa commande. En se retournant, il ne retrouve plus Oliver. Les conséquences de cette fin du monde remplissent les huit épisodes.
L’originalité du traitement repose sur un va-et-vient temporel entre le moment du drame originel et des années plus tard, maintenant — enfin, en 2014, au moment de la diffusion de la série en Grande-Bretagne. Cette double ligne du temps permet de mesurer les profondes traces laissées par l’enlèvement d’Oliver, surtout sur ses parents bien sûr.
On le comprend dès les premières minutes, le couple des Hugues n’a pas résisté. Emily peine à se refaire une vie auprès d’un homme attentionné. Tony n’a pas abandonné la recherche de son fils, et ses enquêtes récurrentes embêtent la petite ville qui préférerait oublier. Il se fait aider par un enquêteur à la retraite voulant lui aussi résoudre cette oppressante énigme, échec de sa carrière.
La trame rajoute évidemment des fils tordus, avec là encore des personnages qui jouent à la limite du cliché, sans jamais basculer, enfin, pas complètement. On a donc droit au policier corrompu, au journaliste sans scrupule, au pédophile injustement accusé, mais aussi à des histoires louches qui font peser le soupçon sur le père et le grand-père.
La construction narrative en deux temps oblige les comédiens à multiplier les prouesses, ne serait-ce que pour passer du parfait bonheur d’avant le drame à l’enfer quotidien qui ne cesse jamais après coup. Les deux parents sont particulièrement remarquables de ce point de vue. James Nesbitt (Tony) devient un être hanté par cette quête obsessionnelle qui l’a rendu alcoolique. Sa vie s’est effondrée. Il ne lui reste plus qu’un combat à mener et il se démène avec la rage d’un condamné.
Frances O’Connor incarne autre chose, une peine constante mêlée à une sourde volonté de passer à autre chose. À la longue, au fur et à mesure des révélations, on comprend qu’elle aussi continue la quête de l’enfant volé, mais par d’autres moyens.
Le sujet hypermélodramatique est tourné dans les tons attendus, dans une grisâtre omniprésente, avec ces ciels bas et lourds des hivers de la grande et de la petite Bretagne. Le réalisateur Tom Shankland est surtout connu pour des films d’horreur. En fait, le tournage a choisi une petite ville de Belgique pour y transplanter le drame hexagonal. L’original était en anglais, avec les accents nécessaires. La traduction en français n’est pas choquante : tout le monde parle dans cette langue et puis c’est tout.