40 ans et encore tout dedans
Les institutions se font rares à la télé. Ici, on peut citer quelques émissions, le journal télévisé, le Bye Bye, bien sûr, Découvertes peut-être et Enquêtes maintenant. Là-bas, l’émission musicalo-comique Saturday Night Live (SNL) fait assurément partie du carré d’as. Et cette incontournable émission apparue en 1975 fête ses 40 ans dimanche.
« Pour moi, SNL est une institution culturelle américaine au même titre que Les Simpson par exemple, dit Arie Kaplan, joint à New York, la ville de SNL. Il nous manquerait quelque chose d’essentiel si cette émission mourait. Ce n’était pas vrai dans les trois premières années, mais l’émission s’est vite imposée et a vite été adorée. »
Arie Kaplan a signé plusieurs essais. Le plus récent porte un titre éloquent : Saturday Night Live : Shaping TV Comedy and American Culture (Lerner Publishing Group, 2014). Il écrit aussi des blagues pour la télé comique et pour le magazine Mad.
« Beaucoup de mon travail comme rédacteur de matériel humoristique est influencé par SNL, confie-t-il en expliquant avoir découvert l’émission dans les années 1980. J’avais 10 ou 11 ans et mes parents me laissaient regarder l’émission. Probablement parce que c’était une émission drôle, intelligente, engagée socialement. […] Les gens l’apprécient encore beaucoup parce que, année après année, cette institution traite de sujets délicats, parle des rapports hommes-femmes, traite des questions raciales, etc. Elle réussit encore à produire des segments très forts, en direct, des numéros dont tout le monde parle le lendemain. »
Un genre
La formule demeure inchangée depuis, y compris dans la version locale SNL Québec. À tout coup il y a donc une captation en direct, un invité très spécial qui se joint à la petite troupe permanente, des prestations de musiciens puis des sketchs, rien que des sketchs humoristiques.
Ce genre a des racines profondes, britanniques notamment avec les Monty Python. La télé a beaucoup emprunté au théâtre populaire à ses débuts, dans les années 1950 et 1960, ici comme ailleurs, avec des émissions comme Moi l’autre ou le Bye Bye. La tradition a ensuite essaimé jusqu’à Samedi de rire, Samedi PM, Pop citrouille, ou vers Les Appendices plus récemment.
« Pour moi, un sketch, c’est une minipièce de théâtre qui se conclut en moins de trois minutes,explique Nicolas Boucher, enseignant à l’École nationale de l’humour. Je dis “trois minutes” à cause des temps imposés maintenant. La série française Bref fait même encore plus court, avec un rythme très rapide. Les Appendices aussi sont concentrés. Mais pour être rentable, SNL fait six ou sept minutes en étirant la sauce. »
M. Boucher donne le cours Écriture pour la scène et dirige la rédaction du « show à sketchs » que l’on verra cet été au Zoofest. M. Boucher exerce aussi le métier : rédacteur pour Les enfants de la télé et le Gala des Olivier, metteur en scène pour le gala des prix Jutra, etc.
Il avoue tout de même ne pas être un grand consommateur de SNL. « Je sais comme tout le monde que l’émission a lancé des carrières exceptionnelles. Je sais aussi que cette émission d’une heure trente par semaine, en direct, propose de bonnes et de moins bonnes affaires. Même si à New York ils sont très nombreux à écrire. Dans ce genre d’émission, le nerf de la guerre, c’est l’écriture. »
À ses étudiants, le professeur Boucher explique que, dans une bonne saynète bien montée, chacune des répliques doit proposer une information essentielle ou un gag. Normalement, le public devrait donc rire au minimum toutes les deux répliques.
Le genre tire aussi profit des nouveaux moyens de diffusion, comme les talk-shows du soir encapsulent des moments magiques pouvant être diffusés sur le Web. « Les Appendices exploitent très bien ce côté viral, dit M. Boucher. Leur sketch avec Xavier Dolan est passé partout sur les réseaux sociaux. Là encore la forme courte devient très utile. »
Des balises
La forme reste, le fond change. SNL est reconnue pour ses thèmes politiques. L’imitation féroce par Tina Fey de la candidate républicaine à la vice-présidence Sarah Palin a contribué à déboulonner sa réputation. S’agit-il pour autant d’une production de gauche, libérale… new-yorkaise ?
« Je suis moi-même un humoriste de gauche, résidant de New York, dit M. Kaplan. Je cadre dans le stéréotype, comme beaucoup de contributeurs de SNL. Mais il s’en trouve d’autres aussi. Je crois que la force de SNL repose justement sur sa capacité à rire de tout le monde. L’humour sert à amplifier les caractères, les positions, le pire, l’étrange et le stupide, peu importe où on le retrouve, peu importe la cible. »
Nicolas Boucher note que l’humour peut s’en permettre plus maintenant. On peut rire de tout, ou presque, mais pas avec n’importe qui. « Les Appendices peuvent se permettre de dire des choses qu’on aurait retenues il n’y a pas si longtemps, au moins dans un show pour tous. La limite est repoussée constamment. Le public l’accepte, le diffuseur le veut, les auteurs osent. »