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Léa Clermont-Dion est la figure centrale et l’intervenante principale de ce film qui sonde l’obsession d’une société pour des modèles irréalistes.
Photo: Télé-Québec Léa Clermont-Dion est la figure centrale et l’intervenante principale de ce film qui sonde l’obsession d’une société pour des modèles irréalistes.

De chacun selon ses blessures. À chacun selon sa psychanalyse.

Léa Clermont-Dion, 23 ans maintenant, a souffert de troubles alimentaires à l’adolescence. À douze ans, quand elle est internée pour un mois dans une clinique spécialisée, elle pesait 70 livres.

Une fois rescapée, la jeune Léa commence une croisade personnelle contre les images de femmes formatées en série dans les médias. Encore adolescente, elle réunit des centaines de personnes dans des conférences sur le sujet, puis elle lance une pétition qui va déboucher sur l’adoption de la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée, une déclaration en faveur « des tailles, des proportions et des âges variés ».

La jeune militante féministe a publié récemment La revanche des moches, une réflexion « à la fois intimiste et académique, avec un petit côté people sur rien de moins que le culte de l’apparence », a résumé une critique. Le documentaire Beauté fatale, en deux volets, propose une sorte de prolongement de cette quête pour se comprendre elle-même en comprenant sa société.

Une forte impression d’autoanalyse se dégage du résultat, surtout du premier volet, Jouer à la poupée. La jeune envoyée spéciale sur son nombril replonge en elle-même pour comprendre ce qui lui est arrivé, ce qui arrive quotidiennement à beaucoup, beaucoup de femmes.

Allô maman bobo

Les segments de loin les plus intéressants se passent avec sa mère, Sylvie, que Léa décrit en entrevue après le visionnement de presse comme « une misanthrope » qu’elle « admire beaucoup pour sa simplicité volontaire ». Les deux femmes ne se fréquentent pas beaucoup. À la rencontre, à la campagne, les tiroirs s’ouvrent, sans pudeur. Les secrets s’échappent. La progéniture se fait rappeler par sa génitrice naturelle, qui ne se maquille pas, qui vit à la campagne, qu’elle a toujours aimé se déguiser, se montrer, paraître, quoi.

Dès les premières images, certaines captées par webcaméras, la fille urbaine, lookée, branchée, sportive (on la voit courir tout le temps) avoue et fait comprendre ses paradoxes. Elle critique notre obsession pour la beauté mais s’y soumet allègrement. Elle souhaite une plus grande diversité d’images corporelles dans les médias tout en incarnant médiatiquement le modèle standard. Elle a 23 ans et elle se questionne sur le culte de la jeunesse. « Dans un lieu public, si je n’attire pas l’attention, je ne me sens pas bien », dit une de ses toutes premières confidences à la caméra.

La jeune femme assume, s’ouvre, se fouille. « Le réalisateur André St-Pierre m’a demandé d’accepter mes vulnérabilités, a-t-elle encore expliqué aux journalistes. C’est donc une production très intime. »

Ses confidences en génèrent d’autres. L’ex-chanteuse Mitsou Gélinas, devenue animatrice, a tenu un blogue sur le même thème de l’image de soi. Elle raconte ses propres dysfonctionnements, jusqu’à la boulimie, jusqu’à sa récente orthorexie, cette obsession pathologique pour la nourriture saine.


Pour le reste, le documentaire fait et refait ce qu’on a déjà vu vingt et cent fois sur le sujet. On a par exemple droit à la scène cliché dans une boîte de nuit avec poupounes et éphèbes, aux interviews avec des mannequins dans les coulisses d’un défilé de mode, etc.

Les explications savantes sont laissées de côté dans le premier volet. Les informations les plus sociologisantes passent sous la forme de statistiques défilant de temps en temps à l’écran. On apprend par exemple qu’une femme dépense en moyenne plus de 35 000 $ dans une vie en produits de beauté.

Le second volet (Date de péremption) élargit la perspective. La documentariste interroge des gens de la pub et ne convainc qu’une seule entreprise de cosmétiques de répondre aux questions. Léa Clermont-Dion se rend au spa, visite un chirurgien esthétique et même un thanatologue.

Figures connues

 

Là encore la parole est donnée à des gens ordinaires et à des vedettes (Micheline Lanctôt, Claire Lamarche, Valérie Blais, Marie-Chantal Perron, Léane Labrèche-d’Or), des femmes deux ou trois fois plus âgées que Léa Clermont-Dion qui se confient à leur tour sur leur rapport à leur corps, à la beauté idéalisée, au regard des autres. Là encore, la règle va aux propos et confidences, sans pudeur aucune.

« Beauté égale maintenant jeunesse,dit Mme Lanctôt, qui a souffert d’anorexie elle aussi. J’ajouterais qu’il faut être jeune, beau et en forme. »

Claire Lamarche, qui s’assume très bien au naturel comme sexagénaire, est encore plus cinglante. Comment notre société considère-t-elle les femmes vieillissantes ? lui demande la jeune Léa Clermont-Dion, au bout de sa démarche faite pour refermer des blessures, les nôtres, les siennes. « Dans notre société, la vieillesse, c’est quelque chose qu’on ne veut pas voir, dit Mme Lamarche. On la nie, comme on nie la mort finalement. Comme si on allait rester jeune toute notre vie. Ça ne se peut pas. »

Le réalisateur André St-Pierre m’a demandé d’accepter mes vulnérabilités. C’est donc une production très intime.

Beauté fatale

Sur les ondes de Télé-Québec, les mardi 9 et mercredi 10 décembre à 21 h.