Personne n'en parle en mal

Une star internationale de passage ? Bienvenue, James Blunt. Une belle vedette d’ici qui rayonne là-bas ? OK, cochez Véronic DiCaire. Un humoriste ? Voici François Morency. Un beau fou ? Jean-Paul Daoust ! Une bonne cause ? Le journal L’Itinéraire a 30 ans. Et dans la liste des invités de la semaine dernière de Tout le monde en parle (TLMEP), il y avait aussi des journalistes, comme souvent, soit Brian Myles, collègue du Devoir, vice-président et ex-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, et le radio-canadien Alain Gravel, champion super-lourd de l’enquête.
La paire on ne peut plus crédible commentait les dernières révélations à la commission Charbonneau. L’animateur, Guy A. Lepage, a multiplié les questions d’une précision chirurgicale. Du bon travail d’intervieweur avec des pros de l’interview.
L’exercice rappelle aussi un paradoxe résolu de notre paysage médiatique, une intrigante antinomie exposée par le professeur Frédérick Bastien de l’Université de Montréal dans son livre Tout le monde en regarde !. « Bien des journalistes critiquent en chœur la fréquentation des talk-shows par les politiciens et le traitement qu’on y fait de certains sujets d’actualité, écrit-il dès l’introduction. Pourtant, il arrive aussi que les journalistes participent à ce genre d’émissions. »
Et comment ! D’ailleurs, pourquoi s’en priver ? Tout le monde en parle peut multiplier par quatre le nombre de téléspectateurs du Téléjournal. Dont acte.
Une tendance lourde
L’infodivertissement combine par le contenu et le contenant des caractéristiques typiquement associées au divertissement et à l’information. Le faux bulletin de nouvelles, comme celui qu’on verra cette semaine dans la version québécoise de Saturday Night Live à Télé-Québec, concentre cet amalgame au pur sucre. Tout le monde en regarde ! cite bien d’autres cas, dont Christiane Charette en direct, La fosse aux lionnes, Les francs-tireurs ou Il va y avoir du sport. On pourrait maintenant ajouter Bazzo.tv.
L’essai découle d’une thèse de science politique soutenue en 2007, ce qui étonne dans le milieu universitaire réputé assez allergique à la télé. « Je crois que cette thèse n’aurait pas été possible il y a deux décennies, explique le savant dans une entrevue avec Le Devoir. On aurait considéré le sujet trop trivial. Le milieu universitaire est relativement conservateur et il entretient des rapports pour le moins ambigus avec tout ce qui relève de la culture populaire. […] Pour moi, l’idée d’une recherche sur le sujet date de bien avant, de la fin des années 1990. TVA présentait alors Le point J où des politiciens se pointaient. Il y avait aussi La fin du monde est à 7 heures, qui soulevait beaucoup de débats. Moi-même j’étais un peu agacé par cette émission qui mélangeait les genres. Au départ, je n’avais donc pas une opinion favorable. »
La polémique a fait long feu et la légitimité de l’infodivertissement semble de moins en moins contestée. Le questionnement savant sur ces émissions hybrides finit par proposer un portrait très nuancé, avec moult preuves à l’appui de la défense du genre qui informe, éduque et divertit. C’est d’ailleurs un des grands mérites de ce survol, qui finit par convaincre des mérites de ces émissions où le divertissement et l’information s’allient, pour le pire parfois, et pour le meilleur souvent. Et puis, à la longue, on « fait avec », de toute manière, et il semble totalement utopique de réclamer de revenir à un cloisonnement pur, à l’ancienne.
En avant comme avant
D’ailleurs, était-ce bien le cas ? L’étude s’ouvre sur un survol de la transformation des programmations pour conclure que le mélange info et divertissement « est loin d’être une affaire récente ». Les émissions Les couche-tard ou Chez Miville recevaient déjà des politiciens pour les soumettre à de légers questionnaires dans les années 1950 et 1970. Appelez-moi Lise, dans les années 1970, ne faisait que ça et peut être considérée comme la mère de toutes les productions hybrides actuelles.
« Le genre a des racines assez profondes, poursuit le professeur. Mais le mélange des genres de la première période était moins sophistiqué que maintenant. Le Fric Show qu’a fait Marc Labrèche à Radio-Canada poussait le mixte du vrai et du faux à ses limites, avec des erreurs factuelles en plus. Je ne suis pas prêt à dire qu’on atteignait des niveaux inacceptables. Par contre, je trouve regrettable qu’on ne clarifie pas ce que c’est, l’infodivertissement, et ce que ce n’est pas. »
Le livre se ferme sur un appel à des mécanismes d’autorégulation à définir par les diffuseurs et les producteurs pour préciser le rôle et la nature des émissions. Pour les talk-shows, il s’agirait de convenir que le traitement des affaires publiques doit se faire selon tels et tels critères, par exemple pour traiter des primeurs.
La force de TLMEP permet de réclamer la priorité de certains témoignages et les journalistes en prennent ombrage quand les politiciens se soumettent à l’exigence. L’analyse de 702 invitations à participer à Tout le monde en parle établit que les arts et spectacles composent les deux tiers du lot, la politique 8 % et le journalisme 5 %. Bref, la tribune n’abuse pas de la participation des acteurs et des commentateurs de la sphère publique. D’ailleurs, Stephen Harper ne s’y est jamais pointé.
« Dans l’absolu, les politiciens peuvent refuser de jouer ce jeu. Cependant, s’ils refusent toutes les invitations, il y aura probablement des conséquences. Le public est moins nombreux qu’autrefois à regarder les émissions d’information. Le politicien, comme le journaliste, l’artiste ou le porte-parole d’une cause, a donc intérêt à tenir compte du nouvel environnement médiatique. »
Ce nouveau monde bouscule évidemment l’ancien, mais là encore avec des impacts multiples et des réactions complexes. « Je crois qu’il y a en partie du corporatisme dans la réaction des journalistes vis-à-vis de l’infodivertissement, conclut le professeur Frédérick Bastien. Je pense qu’un des enjeux importants pour le journalisme actuel concerne la concurrence de plus en plus importante de communicateurs comme les animateurs ou les blogueurs. Les journalistes perdent le monopole de la diffusion de l’information et ils doivent se demander comment affirmer la spécificité de leur travail. »
La paire on ne peut plus crédible commentait les dernières révélations à la commission Charbonneau. L’animateur, Guy A. Lepage, a multiplié les questions d’une précision chirurgicale. Du bon travail d’intervieweur avec des pros de l’interview.
L’exercice rappelle aussi un paradoxe résolu de notre paysage médiatique, une intrigante antinomie exposée par le professeur Frédérick Bastien de l’Université de Montréal dans son livre Tout le monde en regarde !. « Bien des journalistes critiquent en chœur la fréquentation des talk-shows par les politiciens et le traitement qu’on y fait de certains sujets d’actualité, écrit-il dès l’introduction. Pourtant, il arrive aussi que les journalistes participent à ce genre d’émissions. »
Et comment ! D’ailleurs, pourquoi s’en priver ? Tout le monde en parle peut multiplier par quatre le nombre de téléspectateurs du Téléjournal. Dont acte.
Une tendance lourde
L’infodivertissement combine par le contenu et le contenant des caractéristiques typiquement associées au divertissement et à l’information. Le faux bulletin de nouvelles, comme celui qu’on verra cette semaine dans la version québécoise de Saturday Night Live à Télé-Québec, concentre cet amalgame au pur sucre. Tout le monde en regarde ! cite bien d’autres cas, dont Christiane Charette en direct, La fosse aux lionnes, Les francs-tireurs ou Il va y avoir du sport. On pourrait maintenant ajouter Bazzo.tv.
L’essai découle d’une thèse de science politique soutenue en 2007, ce qui étonne dans le milieu universitaire réputé assez allergique à la télé. « Je crois que cette thèse n’aurait pas été possible il y a deux décennies, explique le savant dans une entrevue avec Le Devoir. On aurait considéré le sujet trop trivial. Le milieu universitaire est relativement conservateur et il entretient des rapports pour le moins ambigus avec tout ce qui relève de la culture populaire. […] Pour moi, l’idée d’une recherche sur le sujet date de bien avant, de la fin des années 1990. TVA présentait alors Le point J où des politiciens se pointaient. Il y avait aussi La fin du monde est à 7 heures, qui soulevait beaucoup de débats. Moi-même j’étais un peu agacé par cette émission qui mélangeait les genres. Au départ, je n’avais donc pas une opinion favorable. »
La polémique a fait long feu et la légitimité de l’infodivertissement semble de moins en moins contestée. Le questionnement savant sur ces émissions hybrides finit par proposer un portrait très nuancé, avec moult preuves à l’appui de la défense du genre qui informe, éduque et divertit. C’est d’ailleurs un des grands mérites de ce survol, qui finit par convaincre des mérites de ces émissions où le divertissement et l’information s’allient, pour le pire parfois, et pour le meilleur souvent. Et puis, à la longue, on « fait avec », de toute manière, et il semble totalement utopique de réclamer de revenir à un cloisonnement pur, à l’ancienne.
En avant comme avant
D’ailleurs, était-ce bien le cas ? L’étude s’ouvre sur un survol de la transformation des programmations pour conclure que le mélange info et divertissement « est loin d’être une affaire récente ». Les émissions Les couche-tard ou Chez Miville recevaient déjà des politiciens pour les soumettre à de légers questionnaires dans les années 1950 et 1970. Appelez-moi Lise, dans les années 1970, ne faisait que ça et peut être considérée comme la mère de toutes les productions hybrides actuelles.
« Le genre a des racines assez profondes, poursuit le professeur. Mais le mélange des genres de la première période était moins sophistiqué que maintenant. Le Fric Show qu’a fait Marc Labrèche à Radio-Canada poussait le mixte du vrai et du faux à ses limites, avec des erreurs factuelles en plus. Je ne suis pas prêt à dire qu’on atteignait des niveaux inacceptables. Par contre, je trouve regrettable qu’on ne clarifie pas ce que c’est, l’infodivertissement, et ce que ce n’est pas. »
Le livre se ferme sur un appel à des mécanismes d’autorégulation à définir par les diffuseurs et les producteurs pour préciser le rôle et la nature des émissions. Pour les talk-shows, il s’agirait de convenir que le traitement des affaires publiques doit se faire selon tels et tels critères, par exemple pour traiter des primeurs.
La force de TLMEP permet de réclamer la priorité de certains témoignages et les journalistes en prennent ombrage quand les politiciens se soumettent à l’exigence. L’analyse de 702 invitations à participer à Tout le monde en parle établit que les arts et spectacles composent les deux tiers du lot, la politique 8 % et le journalisme 5 %. Bref, la tribune n’abuse pas de la participation des acteurs et des commentateurs de la sphère publique. D’ailleurs, Stephen Harper ne s’y est jamais pointé.
« Dans l’absolu, les politiciens peuvent refuser de jouer ce jeu. Cependant, s’ils refusent toutes les invitations, il y aura probablement des conséquences. Le public est moins nombreux qu’autrefois à regarder les émissions d’information. Le politicien, comme le journaliste, l’artiste ou le porte-parole d’une cause, a donc intérêt à tenir compte du nouvel environnement médiatique. »
Ce nouveau monde bouscule évidemment l’ancien, mais là encore avec des impacts multiples et des réactions complexes. « Je crois qu’il y a en partie du corporatisme dans la réaction des journalistes vis-à-vis de l’infodivertissement, conclut le professeur Frédérick Bastien. Je pense qu’un des enjeux importants pour le journalisme actuel concerne la concurrence de plus en plus importante de communicateurs comme les animateurs ou les blogueurs. Les journalistes perdent le monopole de la diffusion de l’information et ils doivent se demander comment affirmer la spécificité de leur travail. »