Télévision à la une - Du nouveau monde pour le Nouveau monde

Il n’y avait pas meilleur moment pour diffuser ce documentaire sur l’immigration.
Pas de meilleur moment puisqu’il y est question, pêle-mêle et plus ou moins directement, de crise identitaire, d’accommodements raisonnables, de Charte des valeurs, du vieillissement de la population et d’intégration.
Qui va sauver Huntingdon? demande donc l’examen. Huntingdon, c’est-à-dire partout et nulle part, noterait le père Ubu. Huntingdon, qui semble, comme bien d’autres villes et villages du Québec, condamnée à renouveler sa population ou à disparaître.
La vieille ville montérégienne de 2500 âmes enregistre 60 décès pour 30 naissances par année. La crise et les transformations de l’économie ont bousillé ses infrastructures industrielles. Il faut des idées neuves, de nouvelles familles, alors que bien peu d’immigrants acceptent de s’installer en dehors de Montréal.
Pour en trouver, le célèbre maire d’Huntingdon, Stéphane Gendron, engage une vaste campagne de recrutement. La caméra le suit dans cette course aux «autres» à intégrer dans le «nous». Le résultat accouche d’une proposition franchement très instructive, un peu longuette, mais jamais déplacée, tout en nuances et en ouverture. Ce qui ne manquera pas d’étonner les détracteurs de cet élu «Kid Kodak», un brin populiste, animateur de télé et de radio abonné aux déclarations incendiaires.
«Le vieux stock québécois»
Le nouveau documentaire fait suite à un diptyque de 2010 intitulé Les fous de leur village, déjà un peu dans le sujet. Cette fois précédente, le maire Gendron partait à la découverte de la vie à la campagne, pour un portrait dynamique de la réalité des régions plus ou moins éloignées. Le nouveau film est signé Vincent Audet-Nadeau, mais c’est assurément encore Stéphane Gendron qui mène la charge démonstrative.
Ce qui ressort surtout de l’examen, c’est l’absence totale de préjugés de Stéphane Gendron vis-à-vis des néo-Québécois. Il pousse le zèle jusqu’à demander à un employeur en région qui emploie des immigrants de la Colombie s’ils ne sont pas meilleurs que «le vieux stock québécois». Le sympathique patron répond que oui, tout en multipliant lui aussi les signes d’une franche et sincère ouverture.
«Oui, la volonté est là, dit-il en rappelant que certains de ses employés ont quitté leur pays pour des raisons politiques. Certains Québécois de souche pourraient en tirer des leçons.»
La même attitude d’ouverture et d’accueil s’exprime constamment vis-à-vis des musulmans et des Arabes, qui ne l’ont pas facile en ce moment, mettons, surtout les femmes voilées. On voit le maire en plein recrutement au Centre canadien islamique Al-Jamieh, la plus grande mosquée de Montréal.
Les hommes l’écoutent après la prière. Il leur dit pourtant qu’Huntingdon est prête à fournir des fonds pour la construction d’une mosquée sur son territoire. «N’oubliez pas que vous êtes le futur du Québec», leur dit-il.
Derux fois plus que les États-Unis
Le portrait s’élargit. Des spécialistes viennent expliquer les avantages comparés de l’immigration sélective pour une société, y compris du point de vue de la créativité. On apprend qu’en proportion, le Québec accueille deux fois plus d’immigrants que les États-Unis.
On leur a vendu une fausse image, réplique un spécialiste qui se retient pour ne pas parler de mensonge. Le site gouvernemental explique aux immigrants qu’il faut un an pour trouver du travail dans leur domaine de formation. Ce n’est pas vrai.
En moyenne, ça prend de quatre à cinq ans. D’ailleurs, le taux de chômage des jeunes immigrants est trois fois plus élevé que celui du reste de la population.
Voilà donc le paradoxe: le pays réclame de l’immigration, tandis que les immigrants demeurent discriminés sur le marché du travail. Là encore, le documentaire examine les causes complexes de cette situation paradoxale qui dépend, par exemple, des mutations de l’économie, des difficultés à établir des correspondances de formation, des blocages de la part des entreprises aussi, évidemment.
Malheureusement, le documentaire, terminé il y a plusieurs mois, ne montre pas tout ce qui ne va pas. Il n’est par exemple pas question des tensions récentes nées de la volonté du maire de permettre l’installation d’un cimetière musulman sur son territoire, contre l’avis de son conseil municipal.
Cette histoire a mal fini. Stéphane Gendron a traité ses conseillers de «bâtards attardés» et a fini par tout laisser tomber, la mairie et même Huntingdon.
Il vit maintenant à Dundee, certainement une autre ville à sauver...
Les Autres | Dimanche 20 octobre, 19h à Canal D from Bell Média on Vimeo.