«House of Cards»: Requins politiques pour téléphages exigeants

Elle a toutefois misé sur un cheval à la victoire assurée en investissant dans la production d’une relecture américaine d’House of Cards, une série britannique politique, cynique et assassine, qui a connu un énorme succès public et critique au début des années 90, elle-même inspirée des best-sellers d’un ex de la politique, Michael Dobbs.
Production « quatre as »
La mouture 2013 et yankee d’House of Cards, dont la première saison a été mise en ligne tout d’un bloc le 1er février, compte quelques atouts imbattables pour satisfaire le téléphage glouton mais exigeant. Il y a d’abord David Fincher (Seven, Fight Club), le producteur et réalisateur des deux premiers épisodes, qui donne le ton à l’ensemble de la série et le scénariste Beau Willimon, qui a déjà raconté avec beaucoup de finesse les coulisses du pouvoir dans Idles of March. Il y a surtout une éblouissante distribution, constituée principalement d’acteurs inconnus de ce côté-ci de la frontière et dominée par deux vedettes hollywoodiennes qui trouvent ici des rôles principaux à la hauteur de leur talent.
Kevin Spacey et Robin Wright incarnent un couple d’âge mûr sans enfant, ambitieux à l’excès, prêt à tout (ou presque) pour atteindre ses objectifs dans la jungle politique qu’est Washington. Monsieur, le député Francis Underwood, est whip de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, politicien d’expérience, calculateur, fin renard, mais aussi épouvantable hyène… Madame dirige pour sa part une ONG environnementale qui milite pour la préservation des cours d’eau aux États-Unis et pour l’accès à l’eau potable à l’étranger, une organisation qui sert souvent de caution morale et d’instrument aux manoeuvres politiques de Monsieur.
On les découvre au lendemain de l’élection d’un nouveau président démocrate, alors que les tractations vont bon train pour la formation de son cabinet. Underwood, qui espérait un renvoi d’ascenseur pour son aide pendant la campagne électorale sous la forme du poste de secrétaire d’État, se voit écarté du saint des saints, à son plus grand déplaisir… Cette frustration, partagée par son épouse qui voyait dans la fonction convoitée une façon d’agrandir le rayon d’action de son organisme, deviendra le moteur d’un enchaînement de tractations machiavéliques, de manipulations utiles et de trahisons indécentes qui permettront au présomptueux politicien d’atteindre les plus hautes sphères du pouvoir.
Le diabolique personnage, dont les responsabilités de « préfet de discipline » de ses collègues démocrates permettent de tenir en otages quelques brebis égarées, assigne de bien basses besognes à l’une d’elles, un représentant de la Pennsylvanie aux vices nombreux, qu’il fera tomber au plus bas et qu’il portera aux nues, au gré de ses besoins. Il en fera autant avec une jeune journaliste avide de reconnaissance et de scoops, qui saura tout de même se défaire de son emprise.
Underwood n’arrive toutefois pas à se débarrasser d’un déplaisant « joker » dans son jeu : une grande entreprise de gaz naturel qui l’a financé dans le passé et dont l’influence se fait toujours sentir subtilement par son « représentant », l’ancien attaché de presse du politicien, qui rôde souvent dans ses parages, tout en tentant de soudoyer Madame grâce à de généreuses propositions pour son ONG…
Quatrième mur tombé
Les artisans de ce « remake » ont non seulement réussi à bien transposer l’histoire dans le sinueux univers politique américain contemporain, sans trahir l’esprit de la série originale, ils sont arrivés à la dépasser à bien des égards. Les personnages, aux contours plus flous, moins manichéens, s’éloignent des modèles caricaturaux de la version britannique grâce aux dialogues, certes moins raffinés, mais plus réalistes, de Beau Willimon et son équipe. À la réalisation, la griffe caractéristique de David Fincher, avec ses images aux couleurs un peu délavées, jaunies, se fait sentir tout au long de la saison et ajoute un supplément sulfureux qui sied parfaitement au ton adopté.
De l’ensemble de la distribution, convaincante et admirablement dirigée, se distingue tout particulièrement Kevin Spacey, dont la verve vitriolique et l’esprit de connivence lors d’apartés directement adressés aux spectateurs (déjà présents dans la version britannique) rendent son personnage délicieusement effroyable. Du bonbon à l’arsenic, donc, qui se prend à dose éléphantesque jusqu’à épuisement des stocks, et qui laisse espérer une deuxième saison déjà promise. En attendant, on peut se rabattre sur la série originale, aussi disponible sur Netflix.