Télévision à la une - Portrait d’un maître sous-estimé
Nul n’est prophète en son pays d’adoption. L’adage se vérifie avec certains grands artistes parfois plus adulés à l’étranger que dans leur propre belle-mère patrie.
C’est le cas de Frédéric Back. Évidemment, le Québec admire beaucoup, beaucoup ce très grand cinéaste d’animation, né en Allemagne, récompensé deux fois d’un Oscar. Seulement, d’autres l’adulent encore plus, notamment les Japonais, qui lui vouent un culte digne d’un trésor international vivant.
À preuve, cette exposition que lui consacrait l’an dernier le Musée d’art contemporain de Tokyo. La rétrospective couvrant six décennies de création, avec plus de 1000 dessins et tous ses films, a ensuite voyagé à Sapporo et à Hiroshima avant de se rendre en Chine. La prestigieuse institution tokyoïte n’avait réservé un tel honneur qu’à un seul autre cinéaste d’animation étranger, soit Walt Disney, ce qui permet aussi de prendre la mesure de l’hommage.
Ici, par contraste, aucune institution majeure n’a daigné le reconnaître ainsi. Dommage!
Mais bon, il y a plusieurs manières de passer le plumeau sur un créateur et ses créations, comme le montre le documentaire Frédéric Back: grandeur nature que diffuse Artv cette semaine. Le travail a reçu le Prix du public au 30e Festival international du film sur l’art (FIFA), en mars dernier.
Vie et oeuvre d'un artiste
Le documentaire-synthèse présente la vie et l’œuvre de Frédéric Back. Il constitue tout à la fois une excellente introduction à ses créations et l’expression d’une vénération pour celles-ci. La forme elle-même demeure on ne peut plus classique, avec présentation chronologique allant de l’enfance jusqu’à aujourd’hui. Des témoignages de sommités et des membres de la famille de M. Back enrichissent les portions biographiques.
La production se révèle particulièrement instructive du point de vue de la formation, pour ainsi dire des racines de cet univers surélevé. La caméra se déplace en Alsace, en banlieue de Sarrebrück où naît Frédéric Back en 1824, dans une famille amoureuse de la musique. Son père est percussionniste professionnel. Elle le suit à Paris, où il croise des chevaux menés à l’abattoir de la Villette, jusqu’en Bretagne où il s’inscrit aux Beaux-Arts de Rennes. C’est là qu’il va rencontrer son maître, Mathurin Méheut. Chaque fois, le documentaire fait comprendre l’importance des lieux et des hommes, de l’histoire et de la géographie sur la formation de l’artiste.
Frédéric Back immigre au Canada après la Deuxième Guerre mondiale pour y rejoindre sa correspondante, Guylaine Paquin, une institutrice qu’il va épouser. Le couple dure depuis 60 ans. Le documentaire s’attarde à la découverte du nouveau pays. Le récit ne dit cependant rien des premières intégrations professionnelles, comme garçon de ferme, puis comme enseignant à l’École du meuble. Fait intéressant, Frédéric Back est alors engagé comme titulaire du cours de dessin en remplacement de Paul-Émile Borduas, congédié après la publication du manifeste Refus global. Il y aurait pourtant eu à dire sur la symbolique de ce transfert de charge entre deux monstres sacrés des arts au Québec.
L’attention se porte plutôt sur l’intégration à Radio-Canada, où Frédéric Back crée des centaines de décors, de maquettes et de machines en tous genres. Elle se concentre sur la création du studio d’animation. Entre les commandes pour les génériques d’émission, les illustrations de contenu et les décors animés, l’artiste se lance dans la production de ses premiers films personnels, qui établiront sa renommée mondiale.
Franchement, c’est là que le portrait prend et rend tout son sens. L’examen fait alors intervenir des spécialistes québécois, américains et japonais qui décortiquent le patient travail de M. Back afin d’en exposer la richesse incommensurable. Les admirateurs ne se gênent d’ailleurs pas pour répéter à tour de rôle que son œuvre, déjà admirée, sera adulée dans les siècles à venir. Un dirigeant des studios Disney pleure en entrevue en se rappelant un plan précis d’un fil d’animation. Un muséologue japonais décrit son héros comme un des plus grands artistes du XXe siècle, qui donne des leçons à l’humanité.
À vrai dire, c’est l’engagement profond de cet artiste qui finit par constituer le thème récurrent, l’axe central du portrait filmé. De la découverte des mauvais traitements infligés par les armées d’Europe aux chevaux jusqu’aux films écologistes et pacifistes Tout-rien, L’homme qui plantait des arbres et Le fleuve aux grandes eaux, Frédéric Back continue de lutter avec ses armes esthétiques pour la défense du vivant et la préservation de la nature.
La belle et instructive production du réalisateur Phil Comeau a été dirigée par la maison Phare-Est, du Nouveau-Brunswick, et non par une compagnie québécoise. Nul n’est prophète non plus dans sa province…
Frédéric Back: grandeur nature, suivi de L’homme qui plantait des arbres, de Crac et du Fleuve aux grandes eaux, samedi, à Artv, dès 20h