Télévision à la une - Curieux hasards
Artv fête ses dix ans ce mois-ci et ça fait depuis ce temps (ou presque) que les arts visuels attendent leur bonne et juste place dans la grille de programmation. Il y a bien eu quelques efforts, certains notables, par exemple la belle série L'art du nu, encore en reprise ces temps-ci, un examen prolongé et éclairant du rapport entre l'artiste et le modèle. Mais bon, en gros, jusqu'ici, les beaux-arts n'ont eu que la laide part dans cette chaîne pourtant dédiée à la culture. On pourrait en dire autant du livre, autre grand négligé de la boîte, relayant par ailleurs beaucoup trop de plus ou moins vieilles séries.
Heureusement, ça change. Artv propose deux émissions sur le thème des arts visuels cet automne. La plus ambitieuse arrive de New York, où une quatorzaine d'artistes visuels bataillent de semaine en semaine dans Les Règles de l'art, traduction de Work of Art: The Next Great Artist. Chaque épisode les suit dans une création rapide sur un thème ou une technique imposés. L'enjeu: une expo muséale et du fric. Cette première mouture a été présentée l'an dernier par la chaîne Bravo!.Et puis, il y a Vu par hasard, série originale québécoise bâtie autour de quelques-unes des milliers d'oeuvres d'art public produites dans le cadre du programme d'intégration des arts à l'architecture du ministère de la Culture, le programme dit du 1 %. Chacun des six épisodes de 22 minutes présente quelques oeuvres, toujours sur le même modèle: d'abord le témoignage d'«usagers» de l'immeuble où est intégrée l'oeuvre, puis des explications de l'artiste entrecoupées d'images de la réalisation.
Le premier volet diffusé cette semaine lie deux sculpteurs québécois réputés, deux amoureux du métal intégrant des mots dans leurs créations. Chacun présente deux oeuvres.
Rose-Marie E. Goulet a installé un extrait de La Leçon, de Ionesco, devant le théâtre Denise-Pelletier rénové. L'oeuvre s'intitule La (les) Leçon(s) plurielle(s). Le personnage du professeur parle dans l'extrait choisi, un hommage bien à propos pour une salle dédiée à l'éducation théâtrale depuis des décennies. En plus, la tirade provient d'un rôle réputé difficile à rendre: «Papillon, eureka, Trafalgar, papi, papa...».
Mme Goulet a aussi conçu une oeuvre complexe au siège de l'OACI à Montréal.
Expliquer ses sélections
Malheureusement, elle a trop peu de temps pour expliquer ses propres sélections, par exemple l'usage de l'acier Corten devant le théâtre, de l'acier tout rouillé, qui va «pleurer» sur le sol. Ces rares moments ne permettent pas de présenter le résultat ni dans le détail, ni dans son ensemble. Osons même ce parallèle: la capsule ne respecte pas la règle toute simple de l'histoire et de la critique d'art voulant qu'une oeuvre soit décrite avant d'être interprétée. Il aurait pourtant suffi de peu de place pour décrire les matériaux, donner des dimensions, expliquer certaines techniques.
Pierre Leblanc a droit à un traitement plus étendu et surtout à une meilleure présentation «pédagogique». Il a installé De Marc-Aurèle Fortin à Vaillancourt en passant par Miron aux bureaux du ministère de la Culture, à Québec. Dans la portion le concernant, il explique avoir énormément «gossé» pour trouver la «solution». Il raconte alors ses trouvailles, le choix d'inscrire une strophe de Gaston Miron dans le métal, l'idée d'évoquer un orme de Marc-Aurèle Fortin et d'inclure du chiendent aussi.
Le très attachant créateur explique ensuite ses sources d'inspiration autobiographiques pour son oeuvre monumentale Souvenir de 1955 ou 2026 Roberval (1992), installée au parc René-Lévesque, à Lachine. On découvre aussi le travail préparatoire mis en coffre, tout en finesse, que possède maintenant Bibliothèque et archives nationales du Québec.
«Je fais de la grosse ferraille, souvent, dit M. Leblanc. Les gens me voient comme un rustre, pareil à Roussil. Ça ne me dérange pas qu'ils pensent ça et c'est à moi de leur prouver le contraire.»
Ce deuxième portrait pêche un peu moins par la superficialité de ses descriptions et explications. Pierre Leblanc parle plus que Rose-Marie E. Goulet, seulement, on ne voit pas assez la grande oeuvre du parc, comme celle de l'OACI créée par sa collègue est très vite exposée et à peine expliquée.
Mais bon, c'est un début. La chaîne culturelle fait des efforts artistiques. Les portraits d'artiste avec art public s'amélioreront certainement, et tant mieux si ça dure...
Vu par hasard
Artv, les mardis à 19h9