L'Amérique folle de Dieu

La Cour suprême des États-Unis a commencé cette semaine l'audition d'une cause concernant le droit de manifester lors de funérailles. Une famille en deuil invoque le droit à la vie privée. La Westoboro Baptist Church réplique par la liberté d'expression. Cette Église très radicale a protesté lors des funérailles d'un soldat mort en Irak. Elle croit que les États-Unis sont punis par Dieu pour leur tolérance envers l'homosexualité. Comme disait l'autre, Dieu merci, je suis athée...
L'ADN américainAinsi va la vie aux États-Unis maintenant et depuis 400 ans, la question de la liberté religieuse obsédant ce pays comme aucun autre de cette partie de l'univers visible et invisible. Cette nation est «la plus multireligieuse du monde», explique un savant dès l'introduction de la série documentaire God in America, diffusée cette semaine (du 11 au 13) par le réseau PBS. Un autre parle de la religion comme de «l'ADN de ce pays».
«En 2005, nous avons réuni des penseurs et des professeurs pour leur demander ce que le public américain devrait savoir de la religion et ce qu'un diffuseur public pouvait bien réaliser pour le renseigner», dit en entrevue au Devoir le producteur Michael Sullivan, de la très sérieuse Frontline de PBS, une émission habituée aux synthèses sur des thèmes religieux. On lui doit déjà une vie de Jean-Paul II, une grande série sur les mormons, un document sur la foi après les attaques du 11-Septembre. «Les savants nous ont répondu que le public avait un grave problème d'inculture religieuse: les gens croient, mais ils ne connaissent pas l'histoire religieuse de leur pays et en savent très peu sur les croyances des autres. Nous avons donc décidé de couvrir quatre siècles en nous intéressant à l'impact de la religion dans la vie politique de ce pays.»
Vaste et riche programme, large comme un continent. C'est le portrait d'une Amérique comme nouvelle Jérusalem que trace en six heures la série God in America. Le travail s'ouvre sur «A New Adam», un épisode montrant précisément comment le nouveau a chassé l'ancien par tous les bouts pour y transplanter très vite une religion déjà vieille d'un millénaire et demi autour de la Méditerranée.
Du joug vers la liberté
Le moine et le soldat ont avancé simultanément sur ce pays-continent. Au sud, sitôt débarqués, il y a 400 ans, les missionnaires franciscains ont livré aux flammes les idoles et quelques Indiens restés fidèles aux anciens rites. À l'est, les pilgrims ont accosté avec l'idée d'y implanter une colonie tout entière tournée vers Dieu.
L'Amérique s'est bâtie sur ce mythe renouvelé de l'exode, d'un long passage de l'Ancien au Nouveau-Monde, du joug vers la liberté. L'épisode qui ferme la marche documentaire montre les présidents récents agitant encore et toujours cette idée d'une «cité illuminant le monde».
Entre les deux, tout passe, la protection absolue de la liberté de culte, les ramifications religieuses de la guerre civile, les assises chrétiennes des luttes pour les droits civiques, la montée en puissance récente des évangélistes autour de la Maison-Blanche.
La série reconstitue les scènes historiques et donne la parole aux protagonistes de tous les côtés. Des acteurs personnifient les personnages anciens. Des universitaires commentent et expliquent constamment les luttes traversant cette nation atypique encore profondément marquée par la religion alors que le reste de l'Occident a beaucoup évacué Dieu de son espace public. La question de l'athéisme est abordée dans le cinquième épisode.
«La lutte pour la liberté de religion se retrouve au coeur de la démonstration, poursuit le producteur Sullivan. C'est notre thème intellectuel principal. Les États-Unis bataillent encore ferme sur des principes au coeur du premier amendement, qui interdit de limiter la liberté d'expression ou la préséance d'une religion sur une autre. Notre histoire est jalonnée de tensions entre ces deux pôles. L'Amérique a été le premier pays à expérimenter radicalement au sujet de la liberté religieuse, et nous vivons encore des conséquences de ce concept fondamental alors que de nouvelles croyances et de nouvelles religions s'implantent.»
De cette manière, le documentaire sert une formidable leçon pour comprendre les racines du débat sur le droit de manifester à des funérailles. Ou sur des débats féroces au sujet de l'implantation d'un centre culturel musulman (comprenant une mosquée) près du site sacralisé des attentats du 11-Septembre à New York.
«Les luttes pour obtenir la liberté et conserver une identité religieuse marquent notre histoire, conclut le producteur. Quand les catholiques irlandais s'installent en masse au XIXe siècle, la question de l'équilibre entre la liberté et l'identité se pose. Elle revient avec le projet d'une mosquée dans la partie sud de Manhattan. Notre série rappelle que nous avons déjà été là. Nous nous battons depuis longtemps, il y a toujours eu de la résistance pour incorporer de nouvelles croyances, mais nous avons souvent réussi...»