Danse - La fureur de vivre
Ils sont 12 jeunes hommes noirs, dont le chorégraphe, Rennie Harris, un peu moins jeune, tous de purs produits de la culture de la rue. Ils dansent la vie dans le ghetto ou, plus justement, la lutte contre la mort qui guette à chaque instant, à chaque détour. Beaucoup a été dit sur la violence qui gangrène les ghettos noirs américains. La danse hip-hop, elle, célèbre ce formidable instinct de survie qui habite les jeunes de ces banlieues glauques. La danse hip-hop, c'est la fureur de vivre. Pas la triviale qui enjolive les spectacles de certaines stars de la musique pop, pas celle qui sert de support commercial à des marques de vêtements ou de chaussures de sport, mais bien la danse qui offre à ceux qui s'y jettent un formidable moyen d'expression, un vibrant vecteur de créativité.
Extraordinaire potentielC'est dans cet esprit qu'a été fondée, il y a dix ans, dans la banlieue nord de Philadelphie, la compagnie Rennie Harris Puremovement. Mais Rennie Harris a commencé bien plus tôt à baigner dans la danse hip-hop. À 14 ans, il dansait et donnait des cours et des ateliers pour enfants au Smithsonian Institution's Folklife Center, à Philadelphie, sa ville natale. Il voyait déjà l'extraordinaire potentiel de ce style de danse pour redonner aux jeunes de la rue un pouvoir sur leur propre vie.
Il participe à de nombreuses tournées avec des groupes de rappers et à des vidéos commerciaux dans les années 80 mais s'en détourne vite, dégoûté de ce qu'on lui demande de faire, c'est-à-dire de simples numéros sans organisation chorégraphique, en échange d'un salaire de misère. Alors, plutôt que d'attendre que l'industrie de la musique accorde à la danse hip-hop la place qui lui revient, il décide de fonder sa propre compagnie. Pas seulement pour se donner son propre espace de création mais aussi pour préserver, expliquer et transmettre la culture hip-hop.
Ainsi, depuis dix ans, il parle aux jeunes, les fait parler et danser. La Ville de Philadelphie a souligné à grand renfort de prix sa contribution unique à l'histoire et à la vie culturelle de l'ensemble de la communauté. Il a même été comparé à des danseurs aussi importants qu'Alvin Ailey et Bob Fosse.
Une célébration
Contrairement à la compagnie française Käfig, qui a présenté à Montréal, à l'automne, une pièce qui se voulait un véritable travail chorégraphique sur l'espace, la scénographie et la lumière plutôt qu'une simple démonstration de prouesses athlétiques, Rennie Harris insiste moins sur l'univers esthétique. Son approche se veut plus didactique: le hip-hop trouve ses racines dans la danse traditionnelle africaine mais est aussi profondément américaine, comme le jazz. Et s'il compte sur la virtuosité de ses danseurs pour bien répercuter le pouls des ghettos urbains et sa violence crue, ses pièces se veulent aussi une célébration, de petites victoires immédiates sur l'adversité, soit, dans ce cas-ci, le racisme institutionnalisé des banlieues qui ont tout du champ de bataille.
Les pièces présentées à Montréal portent d'ailleurs des titres qui ne trompent pas, notamment: Endangered Species, un solo interprété par Rennie Harris, Students Of The Asphalt Jungle, où se mélangent hip-hop, tap dance, danse africaine et des mouvements inspirés des arts martiaux, et March Of The Antmen, une évocation de la marche qui avait réuni un million de Noirs américains à Washington. Rennie Harris se sert aussi des mots pour mitrailler les images d'une réalité difficile. Mais le hip-hop de Rennie Harris Puremovement promet d'être avant tout un formidable déploiement d'énergie et une fête du mouvement.