Adeline Kerry Cruz, huit ans et krumpeuse en vedette à Avignon

Les Québécois sont peu présents dans les programmations officielles du légendaire Festival d’Avignon, mais on les trouve parfois là où ne les attendait pas. Comme, cette année, avec la présence en tête d’affiche de la petite Adeline Kerry Cruz dans le spectacle français Silent Legacy.
Elle a huit ans, une frange bien droite et un sourire radieux. Et surtout, elle danse le krump, cette danse urbaine issue des communautés afro-américaines de Los Angeles, avec « maturité » et avec un étonnant « supplément d’âme ». C’est son mentor — et celui avec qui elle forme un improbable duo —, Jr Maddripp (aussi appelé West, ou Kevin Gohou de son nom civil), qui le dit.
« Quand j’ai rencontré Adeline et que je l’ai vue danser, j’ai été fasciné », ajoute celui que le milieu du krump montréalais considère comme un maître et que les téléspectateurs québécois connaissent entre autres pour sa participation à l’émission Révolution. « Les enfants sont souvent bien plus impressionnants qu’on le croit, mais Adeline, qui dansait déjà le krump sans même qu’on le lui ait enseigné, a aussi des qualités d’interprétation qu’on ne trouve pas habituellement chez cette tranche d’âge. Ni même chez les ados. À mes débuts, vers les 15 ans, je ne dansais certainement pas avec autant de personnalité. Elle maîtrise la technique, mais elle a aussi une présence unique, elle ajoute ses propres couleurs et beaucoup d’émotion. »
Au commencement fut un film
La chorégraphe Maud Le Pladec opine du bonnet. Elle a découvert la fillette sur Instagram, au hasard du furetage, dans le court métrage Sit Still, de Vincent René-Lortie. Le choc fut immense. Au point de contacter tout de suite les parents d’Adeline (des artistes de cirque de la compagnie Les 7 doigts de la main) et d’imaginer un spectacle la mettant en vedette avec Audrey Merilus, une danseuse contemporaine issue d’un tout autre univers et formée à la célèbre école bruxelloise d’Anne Teresa De Keersmaeker.
Quelques messages Instagram plus tard, le travail commence à Montréal, puis à Orléans. De Kevin à Adeline puis Audrey, la création interroge la notion d’héritage et de transmission, croisant les pratiques, les genres et les histoires. Loin du territoire chronométré et compétitif du typique combat de krump, quelque chose d’inédit se construit peu à peu. La sauce prend.
Et bam, voilà tout ce beau monde au Festival d’Avignon sur la scène du cloître des Célestins.
« Comment expliquer cette qualité d’interprétation chez une si petite fille ? se demande Maud Le Pladec. C’est un mystère, il n’y a pas de réponse à cette question autre que des réponses de l’ordre du mystique. À huit ans, elle est déjà une artiste pleine et entière. »
La petite Adeline ne bronche pas devant cette avalanche de compliments. « Je danse le krump parce que j’aime les émotions de cette danse », nous dit-elle, coupant court à trop d’épanchement. « Danser me permet de raconter des choses. À chaque petite chorégraphie, je me fais des petites histoires dans ma tête. » Et le krump, une danse souvent saccadée et robotique, très expressive, est le territoire parfait pour cette superposition narrative, comprend-on.
Un legs à honorer
Silent Legacy, « c’est un spectacle qui propose une rencontre entre le krump et la danse contemporaine. Mais attention, il n’y a pas de réelle fusion », précise Jr Maddripp, qui cosigne une partie de la chorégraphie.
Le krump a ses codes, son histoire, son héritage, et c’est sacré ! « On cherche à raconter d’où vient le krump et à ne jamais camoufler les textures populaires et urbaines qui l’ont façonné. Il ne faut pas trop triturer ou déconstruire ; on veut sublimer le krump sur une scène de théâtre à Avignon dans toute sa plénitude, dans la complexité de ses propres codes. Sauf que la rencontre avec le langage contemporain et avec le parcours d’Audrey est naturelle — parce qu’il y a toujours eu des traces de ballet classique dans le krump, par exemple. »
Maud Le Pladec, effectivement soucieuse de respecter les traditions d’une discipline dans laquelle elle s’invite pour une première fois, ajoutera que, « néanmoins, Silent Legacy provoque un déplacement et défie les normes avec des séquences chorégraphiques longues qui brisent le rythme typique du krump, lequel se pratique toujours en séquences très courtes sous forme de battles ».
C’est aussi une pièce sur la sororité et sur la place des femmes, qui flirte avec la « sociologie du genre » et qui, imprégnée d’une forte performativité, « remet aussi en question les codes de la culture sportive ». Le tout, d’une manière sensible et intime, dit-elle.
Le Québec discrètement représenté à Avignon
Jouer dans l’immense Festival Off Avignon est une aventure très coûteuse pour les artistes québécois, mais quelques compagnies de chez nous se risquent tout de même à figurer au catalogue de 1500 spectacles afin de tirer leur épingle du jeu.
Au théâtre du Train bleu, l’un des lieux les plus influents du Off, Alix Dufresne reprend son succès Hidden Paradise, qu’elle a créé avec Marc Béland. Du côté du théâtre Au bout là-bas, une jeune compagnie formée de finissants de l’École nationale de théâtre menés par Hugo Fréjabise joue en plein air une tragédie romaine intitulée Spartacus. Machine de cirque est aussi au programme avec son spectacle homonyme, qui a déjà bien roulé sa bosse en Europe depuis sa création à Québec en 2015.
Sinon, quelques auteurs dramatiques québécois sont mis en scène par des troupes françaises ou étrangères, notamment une pièce de Marie-Claude Verdier encore jamais portée à la scène au Québec, De vos yeux.