«Re:Incarnation»: party funèbre

Le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku nous a plongés dans la philosophie yoruba, son ethnie d’origine, projetant une force de vivre percutante, qui va bien au-delà de la mort.
Photo: Blandine Soulage Le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku nous a plongés dans la philosophie yoruba, son ethnie d’origine, projetant une force de vivre percutante, qui va bien au-delà de la mort.

Pour la première fois depuis sa fondation en 1985, le Festival TransAmérique (FTA) a accueilli hier soir comme spectacle d’ouverture, une compagnie africaine. Le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku, avec sa pièce Re:Incarnation, nous a plongés dans la philosophie yoruba, son ethnie d’origine, projetant une force de vivre percutante, qui va bien au-delà de la mort.

Dès le début de la pièce, les dix interprètes brillent par leur talent, mais aussi leur force individuelle. Ils nous plongent tous, accompagnés par les deux musiciens sur scène, au cœur de Lagos. Dans un esprit de communauté, les danseurs font la fête et bougent en cœur sur des rythmiques entraînantes.

 

L’énergie explosive fait ensuite place à une bagarre qui provoque le décès d’un des protagonistes. Dans un jeu théâtral juste et sans exagération, les interprètes nous font passer de la joie à la douleur, incarnant par leurs corps la souffrance et la perte. Plusieurs fois durant cette œuvre, on passe rapidement d’un sourire à un moment de silence suspendu, souvent très bien accompagné par les deux musiciens. Des scènes où les tambours et la trompette rentrent directement dans le cœur des spectateurs.

On distingue rapidement les différentes influences du chorégraphe, à savoir le hip-hop ou encore la capoeira, mais aussi la spécificité de chaque artiste. On découvre des gestuelles issues du dancehall, le krump ou encore de la funky house. Durant toute la pièce, les techniques brutes et très personnelles de chaque danseur font plaisir à voir. Les détails ne sont pas l’important, mais bien l’authenticité individuelle de chacun dans son interprétation, dans sa connaissance du mouvement, selon son corps et son passé de danseur. Avec ces attributs uniques, le chorégraphe construit de multiples formations chorégraphiques où des duos, des solos et des unissons rassemblent les corps dans une unicité organique. Sans chichi, mais avec une réelle recherche gestuelle, d’ailleurs très variée durant toute la pièce.

Au fil des scènes, les interprètes vêtissent différents costumes, le plus souvent très colorés, loufoques et éclatés. On rencontre alors une femme-oiseau, des gardiens du royaume des morts et plusieurs autres figures mythiques. La mort y est alors dessinée comme un passage vers les ancêtres, un moment avant la réincarnation, sans jamais y voir de fatalité. En effet, l’afrobeat dansant reste toujours le socle de cette vie fragile et les corps ne se laissent, malgré tout, jamais abattre.

Délectation de vie

 

Toujours dans un esprit de communauté, les danseurs vivent tour à tour le deuil et la passion du moment. En effet, malgré tout ce qu’ils traversent, la pulsion de la résistance, de la résilience même, reste toujours palpable, dans leurs pieds, dans leurs regards et dans leurs sourires, mais pas seulement. Les cris, les chants et les acclamations ponctuent certaines scènes et nous donnent le goût de vivre, oui, mais à 1000 à l’heure. De profiter de chaque instant de cette chose si fragile et pourtant tellement prise pour acquise.

En plus de célébrer la mort, Re:Incarnation nous amène plus loin, dévoilant la proximité avec les ancêtres lors de ce passage. Les liens entre tous se dessinent alors dans cette tragédie qui n’en est plus. La renaissance est aussi évoquée. La mort ne serait alors qu’un moment à passer pour incarner un ailleurs, un autre, le tout, toujours au sein d’une communauté soudée. Et dansante. La quête de la vie n’est alors plus de survivre, mais bien d’accepter les faits, son destin. Marque d’une certaine sagesse finalement.

Pour finir, enduis d’huile noire, le visage surmonté parfois de cornes ou de masques, les dix artistes terminent dans une danse jouissive authentique, où les corps ne répondent qu’au rythme du cœur, au besoin de tout lâcher, de tout livrer, de se sentir vibrant et vivant. Une réelle catharsis qui en met plein la vue et nous pousse à laisser s’exprimer nos corps.

L’heure et demie du spectacle passe à vive allure avec des scènes très variées qui s’enchaînent à merveille, des interprètes à l’énergie éclatante et contagieuse qui donnent envie de danser. Re:incarnation, une vision positive de la mort oui, mais surtout une ode à la vie.

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