Les écoles de danse à bout de souffle

« C’est fini », lançait Eric Zig Martel cette semaine dans un message Facebook destiné à sa communauté. Après deux ans d’acharnement, le directeur de l’école de streetdance ReBelles et VagaBonds, à Laval, a perdu plus de 70 % de sa clientèle et se retrouve aujourd’hui trop endetté pour continuer.
Son cas est loin d’être isolé. Le Réseau d’enseignement de la danse du Québec (RED) compte qu’une quarantaine d’écoles ont dû fermer leurs portes par manque de moyens depuis le début de la pandémie de COVID-19. « La passion est restée, mais il y a une fatigue qui s’est ajoutée », explique Véronique Clément, directrice du RED.
En près de deux ans, l’organisme qui regroupe des écoles et des enseignants en danse a vu son milieu s’effriter à force de mesures. Et la réouverture officielle, lundi 14 février, ne ramènera pas tout le monde en classe. « Je comprends que les circonstances sont exceptionnelles, mais on a perdu énormément, et on n’a aucune aide, déplorait il y a deux semaines dans une lettre ouverte Ilham Rouissi, à la tête de l’école Toca Danse, à Boucherville. Que compte faire le gouvernement à long terme ? On ne peut pas juste nous refermer et nous demander de nous réinventer. À chaque fois. »
Depuis mars 2020, quand elle n’était pas forcée de fermer, celle qui enseigne les danses latines depuis plus de 15 ans a suivi toutes les mesures, et imposé à ses élèves la distanciation de deux mètres et le port du masque. Malgré cela, elle a perdu près de 80 % de sa clientèle. « On n’offre pas seulement des cours, mais une ambiance, un moment de socialisation, une communauté. On danse sur des pastilles, on ne change pas de partenaires… La pandémie a dénaturé notre pratique », déplore-t-elle. Avant la pandémie, Toca Danse pouvait accueillir jusqu’à 300 élèves par semaine. Depuis janvier, l’école a lancé un seul cours, virtuel, qui compte 7 participants.
Le RED a effectivement constaté d’une perte de clientèle dans presque toutes les écoles de danse, durant les deux dernières années. L’automne dernier, elles avaient retrouvé environ 80 % de leur clientèle de 2020, déjà réduite par la pandémie. Avec le dernier confinement, « les chutes sont assez dramatiques ». « On parle de 40 à 50 % de perte de clientèle en général, 30 % pour les adultes et 60 à 80 % de perte chez les adolescents », détaille Mme Clément.
France Dionne, directrice de l’école Danse mode action (DMA), se dit chanceuse d’avoir un programme de danse-études. « Sans ça, on l’aurait vraiment plus mal vécu », pense-t-elle. En effet, dès les premières fermetures d’établissement, elle a pu compter sur des élèves motivés pour continuer les programmes, même en virtuel. « On a totalement fermé au premier confinement. Après, on a fait des cours en ligne, mais aussi dans le parc Jarry. On s’est adaptés, et nos clients fidèles ont toujours été là. » Malgré tout, elle affiche une baisse d’environ 50 % de sa clientèle. Elle constate par contre un réel engouement depuis l’annonce de la réouverture des lieux de loisirs et d’art. « C’est la première fois que je le dis en deux ans, mais je vois le bout du tunnel ! On repart ! » se réjouit-elle.
Aides insuffisantes
En plus de la diminution du nombre d’élèves, de nombreuses écoles sont aujourd’hui confrontées à une pénurie de main-d’œuvre. « Beaucoup d’enseignants ont laissé tomber et ont complètement changé de carrière », raconte Véronique Clément.
Mme Dionne a dû en faire les frais. « J’ai réussi à remplacer ceux qui sont partis, mais ça n’a jamais été aussi difficile de trouver des enseignants. Je me retrouve, souvent, depuis janvier, à donner moi-même des cours », explique-t-elle.
Depuis le début de la crise sanitaire, les écoles de danse se sont toujours trouvées dans l’incertitude financière, et certaines n’ont pas pu continuer à payer leurs enseignants. « Il y a seulement une quinzaine d’écoles qui sont subventionnées par le ministère de la Culture. Les autres sont des entreprises privées et sont donc soumises au ministère de l’Économie, mais aussi à la Direction du sport, du loisir et de l’activité physique au ministère de l’Éducation. C’est très compliqué, souligne-t-elle. La majorité des écoles n’ont pas pu être admissibles aux aides financières. »
Beaucoup d’enseignants ont laissé tomber et ont complètement changé de carrière.
Toca Danse fait partie des écoles qui reçoivent une subvention. « Ça aide, c’est sûr, mais ça n’a pas permis de payer toutes mes obligations financières, raconte Ilham Rouissi. Depuis deux ans, je continue à payer les enseignants avec ce que j’ai, mais là, s’il y a une nouvelle fermeture, je ne pourrai plus. »
« On nous aide à payer les loyers, mais ça ne paye pas les taxes ni les autres dépenses, renchérit Eric Martel. Rien qu’en électricité, j’en ai pour 15 000 $ pour les deux dernières années », explique celui qui dirigeait un studio de plus de 14 000 pieds carrés depuis 2008, avant de décider de le fermer.
Après son annonce publique, M. Martel a reçu beaucoup de messages de soutien, certains cherchant même des solutions, par exemple une campagne de sociofinancement. « Ce ne serait qu’un pansement sur une blessure trop grande, explique le danseur de renom. Ce n’est pas l’amour qui manque, c’est la confiance. […] Donnez-moi une année, et on pourrait rouvrir quelque chose, recommencer à la base, dans un petit studio. Mais là, pour l’instant, ce n’est plus possible. »
Des craintes pour la suite
C’est non seulement l’aspect financier qui inquiète les écoles, mais aussi l’avenir de leur pratique. Ilham Rouissi estime qu’un crédit d’impôt pour toute personne qui souhaite s’inscrire à un cours de danse pourrait être une solution. « Ça va nous prendre au moins cinq ans pour retrouver une clientèle et le confort financier d’avant-pandémie », calcule Mme Rouissi.
« On parle du volet récréatif, mais la danse professionnelle commence au récréatif, dès les premiers pas. Il faut bien former les jeunes si on veut des Québécois dans nos écoles supérieures et dans les compagnies de danse », conclut la directrice du RED, Véronique Clément.
Troupes de danse fragilisées
Après deux ans de pandémie, le niveau physique des élèves, notamment ceux qui font de la compétition, est préoccupant. « Les autres pays ont continué à s’entraîner. Dans les circuits de compétition, ça va se voir. On va devoir attacher nos tuques ! » lance la directrice de Toca Danse, Ilham Rouissi. Elle a d’ailleurs vu sa seule troupe se dissoudre à cause de la pandémie. « On va sûrement recommencer, mais ça nous prendra plusieurs années avant d’arriver à un niveau de compétition similaire. » Même constat du côté de l’école DMA, qui compte trois troupes au lieu de neuf auparavant.
Nouveaux assouplissements sanitaires en vigueur lundi
De nouveaux assouplissements aux mesures sanitaires entrent en vigueur à compter de lundi. Ce sera notamment le cas pour les spectacles, les événements sportifs ou autres événements publics où la capacité maximale sera fixée à 5000 personnes. Le passeport vaccinal sera toujours obligatoire.
Dans les écoles, du primaire jusqu’à l’université, ce sera la reprise des matchs à l’occasion des activités parascolaires, sans compétition ni tournoi. Le passeport vaccinal sera exigé pour les 13 ans et plus.
Les commerces comme les spas, les saunas, les centres d’escalade intérieurs ou les centres de golf intérieurs pourront enfin rouvrir leurs portes, mais à 50 % de leur capacité, tout en exigeant le passeport vaccinal auprès de leur clientèle.
Les salles de sport et les centres de conditionnement physique pourront aussi reprendre leurs activités à compter du 14 février, mais à 50 % de leur capacité, et le port du masque y sera exigé.
En ce qui concerne les activités de sports ou de loisirs, les cours en groupe peuvent aussi reprendre, sans dépasser toutefois 25 personnes, et ce, dans le respect des mesures sanitaires.
La Presse canadienne