Les écoles de danse de loisir ne savent plus sur quel pied danser

Pas moins de 382 des écoles de danse de loisir sont sises en zone rouge et sont temporairement fermées. Elles rassemblent normalement 130 000 élèves.
Photo: Réseau d’enseignement de la danse Pas moins de 382 des écoles de danse de loisir sont sises en zone rouge et sont temporairement fermées. Elles rassemblent normalement 130 000 élèves.

À la croisée de la culture et du sport, les petites entreprises que sont les écoles de danse de loisir tombent entre les craques du plancher. Aucune des aides financières gouvernementales ne s’applique à elles : 80 % des 431 écoles de danse de loisir du Québec se disent « à risque » ou « très à risque » de fermer si la situation ne change pas, selon un sondage mené la semaine dernière par le Réseau d’enseignement de la danse (RED). Une mort annoncée du cygne ?

« Notre problème depuis le début de la pandémie, c’est qu’on est exactement à cheval entre trois ministères », explique la directrice générale du RED, Véronique Clément. « La danse est à la fois un art, une activité sportive, et les écoles sont en grande majorité de petites et moyennes entreprises culturelles qui peuvent relever du ministère de l’Économie, comme celui de la Culture ou, par le truchement des Sports, de l’Éducation. » 

Pas moins de 382 des écoles de danse de loisir sont sises en zone rouge et sont temporairement fermées. Elles regroupent normalement 130 000 élèves. Considérées comme des organismes sportifs quand il a fallu les fermer pour freiner la deuxième vague de COVID-19, les écoles de danse ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que ce n’était plus le cas quand elles ont voulu obtenir leur part de l’enveloppe de secours de 70 millions de dollars pour les organismes sportifs, annoncée la semaine dernière. 

Et l’aide d’urgence aux PME ? « Les écoles qui l’ont demandée se sont fait dire qu’il n’y avait pas de catégorie pour elles, » poursuit Mme Clément. « Celle des centres de conditionnement physique est ce qui se rapproche le plus, mais il est présentement impossible de s’y faire reconnaître si on est une école de danse. La solution serait pourtant toute simple : il suffirait qu’on puisse cocher cette case-là. On veut juste être inclus et pouvoir bénéficier de l’argent pour les organismes sportifs. »

Contactés par Le Devoir pour comprendre ces choix, les ministères de l’Éducation et de l’Économie n’ont pu répondre dans les délais impartis. De son côté, le ministère de la Culture et des Communications a dit par la voix de son attaché de presse, Louis-Julien Dufresne, « travailler activement à la recherche de solutions pour répondre aux enjeux particuliers vécus par les écoles de danse de loisir. Depuis le mois de mars 2020, le ministère tient, notamment et de façon régulière, des comités de liaison avec le RED ».

S’adapter parfois en vain

À part les prêts aux entreprises et l’allègement des loyers, aucune ressource d’urgence n’est accessible aux écoles de danse. Les subventions sur la masse salariale ? « Tous mes 14 professeurs sont des travailleurs autonomes ; ils enseignent quelques heures par semaine », explique Yoann Charvolen, directeur du Studio, à Montréal, qui représente bien la situation générale. Ce dernier craint pour la survie de son entreprise. « Parce que je n’ai pas ouvert de compte de taxes pour payer mes profs en mars 2020 — je n’en avais pas besoin —, je ne suis pas admissible. » Même pour le Soutien aux commerçants de la Ville de Montréal, « personne ne sait me répondre, ne sait si j’y ai droit ou non ».

« Notre école est assurément en danger », indique de son côté Shena Cameron-Prihoda, de l’école de danse Cameron, copropriétaire et directrice la plus ancienne école de danse privée du Québec. « C’est notre 91e année d’existence », précise la petite-fille de la fondatrice de cette institution familiale. « On a fait de gros, gros investissements, d’abord pour rendre les studios sécuritaires du point de vue sanitaire, puis pour offrir des cours en ligne. Des caméras, des télés, une meilleure connexion Internet. On avait perdu 50 % de notre clientèle après la première vague. Là, on a ouvert des classes sur Zoom depuis une semaine, on ne connaît pas encore les chiffres de fréquentation, mais c’est sûr qu’on va perdre encore plus de monde. Plusieurs personnes sont tannées d’être tout le temps en ligne. »

Même son de cloche chez Toca Danse, spécialisée dans les danses latines, où on offre sept classes virtuelles par semaine plutôt que les quatre classes par soir qui étaient l’ordinaire. Ilham Rouissi, directrice et fondatrice : « On ne fait plus les cours privés, les chorégraphies de mariage, les préparations aux compétitions. Il reste entre 5 % et 10 % des activités habituelles. Je n’atteins pas le chiffre d’affaires que j’ai eu à la première année d’existence de l’école. »

De l’aide et des allègements

La plupart des écoles de danse de loisir estiment aussi leur fermeture injuste. « On n’a pas d’équipements, on n’est pas comme un gym : on a juste les barres de ballet, ça prend deux minutes à désinfecter, et toutes les écoles ont fait un formidable travail pour sécuriser les studios, soutient Mme Cameron-Prihoda. On peut facilement fonctionner à la moitié de notre capacité, avec un risque de transmission très faible. »

Mme Rouissi apporte un bémol : les danses latines et de couple, elles, ne peuvent se pratiquer en respectant les mesures sanitaires exigées actuellement. Elle prône la possibilité de former une bulle, des couples fixes de danseurs pour toute une session. Aussi, croit-elle, « on ne peut pas tout transférer en ligne. L’afro-cubain, ou les classes de haut niveau, par exemple, exigent un niveau de précision, des détails qui ne peuvent se capter sur écran. Sur Zoom, on est en deux dimensions, et la danse est un art en 3D, et qui s’apprend ainsi. Pour les visuels, l’enseignement en ligne peut convenir, mais les auditifs et les kinétiques n’y trouvent pas la rétroaction dont ils ont besoin. »

Est-ce qu’un allègement des mesures sanitaires, permettant une réouverture des studios, serait plus efficace qu’une aide financière ? « Les deux sont en corrélation, précise M. Charvolen. L’aide financière pour continuer », et pour éponger les frais du tournant virtuel, des désabonnements et des remboursements, « et le présentiel, essentiel pour une bonne part de la clientèle, les enfants particulièrement ». Même propos au RED : « Les deux se complètent. Mais le plus urgent, c’est qu’on arrête de se faire renvoyer d’un ministère à l’autre, et que quelqu’un prenne notre dossier en main. »
 



Une version précédente de ce texte, qui indiquait qu'on offrait, chez Toca Danse, une vingtaine de classes virtuelles par semaine, a été modifiée.

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