Quand l’oeil écoute «Les corps avalés»

Dans «Les corps avalés», les espaces vides sont pleins. Probablement l’effet de ses corps qui semblent littéralement faire l’expérience de l’écoute de la musique et de la résonance dans leur corps.
Photo: Compagnie Virginie Brunelle (Les corps avalés) © Vanessa Fortin Dans «Les corps avalés», les espaces vides sont pleins. Probablement l’effet de ses corps qui semblent littéralement faire l’expérience de l’écoute de la musique et de la résonance dans leur corps.

Indéniablement, ce qui intéresse Virginie Brunelle, c’est le phénomène musical. Non pas seulement la musique dans sa relation à la danse, mais la musique comme phénomène en tant que tel, c’est-à-dire ce que la musique produit comme expérience et comment la musique travaille la perception. Ces phénomènes propres à la musique, elle les transfuse dans son travail de la danse, à plusieurs niveaux : plans, dimensions, échelles.

La musique peut avoir un rapport direct, émotionnel, empathique sur les corps. La vibration sonore fait vibrer nos corps, c’est inévitable. L’impact est franc, incontournable, charnel, sensoriel, viscéral. La musique touche en plein coeur. Les cordes, il n’y a encore pas si longtemps n’étaient-elles pas faites de boyau ? La danse de Virginie Brunelle prend sa source au niveau du sternum, autrement dit, du siège des émotions. Depuis le sternum s’élanceront bras et jambes. L’émotion comme mouvement, l’émotion comme transport.

La musique live portée par le quatuor à cordes Molinari, installé en fond de scène, au centre, aurait pu disparaître derrière les sept danseurs. L’espace sonore dans lequel il évolue nous permet subtilement d’assister et de passer de l’intimité d’une astringence des cordes, à une amplification absolument enveloppante, ou encore à des distorsions ou des enregistrements qui nous font basculer dans un espace plus fictionnel.

On passe du focal, du point, à la sphère, et on traverse des panoramas. Comme au cinéma. Cadrage, travelling, zoom. La danse agit comme la musique. Un paysage qui défile sans cesse, qui échappe presque au regard. L’espace scénique est traité comme un plan de cinéma, avec ses effets de profondeurs de champ. Ça ne veut pas dire que la partie de l’espace qui n’est pas habité par la danse est floue, bien au contraire, il existe par contraste.

Dans Les corps avalés, les espaces vides sont pleins. Probablement l’effet de ses corps qui semblent littéralement faire l’expérience de l’écoute de la musique et de la résonance dans leur corps. Ils goûtent dans le temps la vibration. Le traitement de la lumière y participe également beaucoup, tout en finesse avec ces jeux de températures, ses effets de légers éblouissements vibratoires, ses découpes de plans de l’espace.

Il y a quelque chose de remarquable aussi dans l’écriture chorégraphique de groupe où souvent un individu se détache. Si une solitude apparaît, on n’est pas pour autant dans un rapport d’isolement. C’est comme si de l’empathie se dégageait dans la relation des corps entre eux, dans l’espace qui les sépare et les relie. Ce n’est pas tant le désir de ne former qu’un seul et même corps que de faire en sorte que tous se sentent concernés par les autres.

Les gestes se soutiennent, se font écho, résonnent comme des ondes. Encore une fois, ce phénomène est perceptible en musique, où la sensation sonore donne l’impression d’une convergence, d’une unité perceptive.

C’est peut-être tout simplement une pièce à la dimension et à la qualité vibratoire telle qu’elle nous échappe et avale notre perception.

Les corps avalés

Chorégraphie : Virginie Brunelle. Interprètes : Isabelle Arcand, Claudine Hébert, Sophie Breton, Chi Long, Milan Panet-Gigon, Peter Trosztmer, Bradley Eng. Musiciens : Quatuor Molinari. Lumières : Alexandre Pilon-Guay. Jusqu’au 29 février, Théâtre Maisonneuve, 20 h.

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