Jeux d’enfants et d’arts vivants

S’approprier un lieu de création et de diffusion, y échanger et faire des ateliers avec des artistes professionnels constitue une expérience saillante pour les enfants. L’Agora de la danse et La Chapelle leur proposent, l’une à travers un camp de jour pendant la semaine de relâche et l’autre par un partenariat avec des écoles, de découvrir les protagonistes de la création, d’en tirer les ficelles et d’en pénétrer les arcanes.
Conçu par Katya Montaignac, le camp de jour chorégraphique organisé à l’Agora invite les enfants à « construire une culture en matière de danse », cela en « élargissant leur regard sur celle-ci », explique la dramaturge et chercheuse. Il ne s’agit donc pas d’acquérir une spécialisation dans une technique particulière : « L’idée derrière ce projet pilote destiné à 15 enfants est de leur faire vivre l’aventure du spectacle vivant et de leur faire côtoyer pendant une semaine les gens qui travaillent au Wilder », l’édifice qui abrite l’Agora, les Grands Ballets canadiens de Montréal, l’École de danse contemporaine de Montréal et Tangente, explique Mme Montaignac.
L’expérience consistera en une immersion dans le monde de la création : « Les enfants pourront échanger avec des artistes, suivre un atelier avec un éclairagiste en salle noire, réfléchir aux costumes… » pointe Katya Montaignac. Ils feront aussi l’expérience de diverses pratiques en matière de mouvement, du yoga ludique à travers tout le Wilder (avec Emmalie Ruest) au krump (avec 7Starr), en passant par des ateliers chorégraphiques axés sur l’empathie (avec Sovann Rochon-Prom Tep).
Des ateliers du spectateur constitueront le fil conducteur de la semaine, « pendant lesquels les enfants regarderont des œuvres et échangeront à leur sujet, pour ensuite s’approprier et triturer certains de leurs éléments pour danser », précise la conceptrice du camp de jour. Ces explorations seront animées par l’artiste chorégraphique et chercheuse Enora Rivière, aussi critique au Devoir, qui avait créé les premiers ateliers du spectateur avec Katya Montaignac sur les bancs de l’Université Paris 8.
Démarches jeunes publics
Les œuvres dont discuteront les participants au camp de jour ne sont pas réservées aux jeunes publics : « C’est important pour moi de confronter le regard de l’enfant à un objet d’art contemporain qui ne lui est pas directement destiné, qui n’est pas créé dans une dynamique de sensibilisation », précise Katya Montaignac. Notamment, les « campeurs » pourront voir In-Ward, une installation performative d’Alexandra « Spicey » Landé.
Selon Caroline Raymond, professeure en études et pratiques pédagogiques au Département de danse de l’UQAM, il est très pertinent de mettre les enfants en contact avec toutes sortes de créations : « Les enfants ont un regard extrêmement perspicace. Ils sont très proches de la sensation et sont capables de donner un sens à la matière sensible par le prisme de leur propre histoire. Et échanger avec des enfants permet aux artistes de renouveler leur vision sur leur travail, de voir des dimensions qu’ils n’auraient jamais vues seuls. »
C’est justement en étant témoin de l’attention portée par de jeunes enfants à une œuvre de danse contemporaine qui n’était pas spécifiquement écrite pour eux qu’est venue à Olivier Bertrand l’idée de faire découvrir aux élèves du primaire le quotidien de La Chapelle, théâtre dont il est le directeur général.
Né en 2018, le projet Récréations vise à familiariser les jeunes participants avec tout le spectre des activités d’un lieu de création et diffusion, indique-t-il : « On parle d’artistes, de répétitions, de spectacles. Et on parle aussi tout autant de technique, d’éclairages, de son, de tous les métiers qui entourent les arts de la scène. »
Partenariat école-théâtre
Ouvert aux établissements primaires proches de La Chapelle, Récréations a donné lieu à une relation suivie avec l’école au Pied-de-la-Montagne : « On touche une large communauté d’enfants indépendamment de l’origine sociale ou culturelle, souligne Olivier Bertrand. L’objectif est que les élèves participent à Récréations tout au long de leur cycle scolaire. Ils participent à trois ou quatre rendez-vous par année, une visite du théâtre, des rencontres et des ateliers avec des artistes qui font partie de notre programmation… »
Si les ateliers ont jusque-là surtout mobilisé des chorégraphes, le prochain atelier fera appel au concepteur éclairage et scénographie Paul Chambers.
« Dès que les enfants arrivent au théâtre pour la première fois, les questions fusent de partout, raconte Marilyn Farley, responsable du développement des publics et de la médiation à La Chapelle.
« Certains se reconnaissent dans le jeu, le mouvement, le fait d’être sur scène. D’autres sont fascinés par la lumière, le son, les éléments de décor, l’idée de construire un monde. Cela leur permet de réaliser qu’il n’y a pas qu’un seul profil dans les arts de la scène, qu’il y a une place pour différents types de personnalités et d’intérêts, et que chacun peut arriver avec son bagage et créer quelque chose qui lui est propre. »
S’approprier un lieu culturel
« C’est important pour nous que plusieurs activités de Récréations se passent à La Chapelle », ajoute Olivier Bertrand, la finalité étant que les enfants s’y sentent chez eux et développent une autonomie en matière de fréquentation de la scène artistique.
Pour la chercheuse Caroline Raymond, permettre aux enfants de visiter des lieux de création « leur donne l’occasion de vivre des expériences artistiques marquantes, notamment pour leur développement sur les plans affectif, cognitif, psychomoteur et social.
En outre, l’Agora et La Chapelle sont des théâtres conçus pour la danse, en plongée. On entre dans un espace scénographique qui permet de changer le regard sur la scène et d’avoir une autre perspective sur le mouvement, sur les déplacements dans l’espace ».
La rencontre avec des artistes est aussi une expérience formatrice pour les enfants : « C’est très positif, ils ressentent de l’admiration, de l’empathie kinesthésique, dit Raymond. Ça leur ouvre aussi d’autres champs d’activité sociale. C’est important de savoir que faire de la création, ça existe dans la société. »
Quelques réactions des enfants participant au projet Récréations
« Au théâtre, on voit des trucs drôles, et des sentiments. »
« C’est toi qu’on voit dans la vidéo ? Tu peux vraiment faire ça ? Mais alors, tu as dû aller partout dans le monde ! »
« Moi aussi je fais de l’art, à la maison. Je danse et je fais du dessin. J’aime ça. »
« Rire, est-ce que c’est faire de l’art ? Et si on fait des choses qui font rire ? »
L’équipe de La Chapelle