Marie Chouinard par elle-même, mais autrement

Le roulement naturel entre les départs des unes et les arrivées des autres permet de garder la troupe au diapason, l’ancienneté d’une pièce n’empêchant jamais sa circulation. D’où la diffusion sur deux soirées du classique qu’est devenue «bODY_rEMIX.»
Photo: Sylvie-Ann Paré Le roulement naturel entre les départs des unes et les arrivées des autres permet de garder la troupe au diapason, l’ancienneté d’une pièce n’empêchant jamais sa circulation. D’où la diffusion sur deux soirées du classique qu’est devenue «bODY_rEMIX.»

La chorégraphe Marie Chouinard n’est plus à présenter, tant sur les scènes locales qu’internationales. L’activité de sa compagnie est prolifique, avec une moyenne de cinq à dix pièces différentes en tournée, un élan qui mobilise une équipe de collaborateurs assidus tout en commandant une logistique hors pair et une grande adaptabilité pour les danseurs dans le passage d’une pièce chorégraphique à l’autre. Ce phénomène de diffusion est suffisamment rare dans le milieu de la danse pour qu’on interroge la chorégraphe sur la notion de répertoire. Serait-ce devenu, par la force des choses, une volonté, un mandat propre à la compagnie ?

« Je n’ai jamais cherché à faire perdurer le répertoire. Ça s’est fait comme ça, raconte Marie Chouinard. On répond aux demandes des diffuseurs. On a été entraînés là-dedans. C’est rare que l’on dise non. Et puis, on ne sait jamais à l’avance quelle pièce va rester longtemps. Là, par exemple, c’est Danse Danse qui a choisi ces deux pièces. » À savoir le désormais classique bODY_rEMIX / les_vARIATIONS_gOLDBERG et la création Radicale vitalité, solos et duos.

Tout créateur sait à quel point il est difficile de diffuser les projets, et encore plus de les pérenniser. Aussi est-ce une chance de pouvoir le faire, autant pour l’artiste qui conserve un rapport vivant avec ses créations que pour le public qui a la possibilité d’accéder à des œuvres différentes sur une même période, et donc au travail d’une œuvre dans sa globalité. Mais qu’en est-il pour les danseurs ? La notion de répertoire pose d’emblée une question très concrète dans le travail : celle de la transmission des œuvres, d’autant plus que rares sont les danseurs qui restent 15 ans dans la même compagnie. Comment se passe alors ce travail de transmission ?

Comme un code génétique

 

« C’est assez simple, explique la chorégraphe. Quelqu’un quitte la compagnie et une nouvelle personne arrive. Si le prochain spectacle, c’est les 24 préludes de Chopin, elle apprend les 24 préludesde Chopin, si c’est le Sacre, elle apprend le Sacre. Au bout de deux, trois ans, elle connaît toutes les pièces. Chaque personne qui arrive apprend le répertoire, d’abord les mouvements de groupe pendant un an, puis, ensuite, on lui donnera la possibilité de faire des solos, des duos. » Autrement dit, le relais se fait graduellement entre les différentes générations de danseurs, entre les départs des uns et les arrivées des autres.

Ce roulement naturel permet de garder la troupe au diapason, l’ancienneté d’une pièce n’empêchant jamais sa circulation. D’où la diffusion sur deux soirées du classique qu’est devenue bODY_rEMIX.

J’ai le projet de prendre une pièce, par exemple de Pina Bausch, de Balanchine ou de Trisha Brown, et de la mettre à ma manière, donc de faire comme les metteurs en scène de théâtre qui prennent une pièce de Shakespeare et la transforment

 

L’apprentissage du répertoire apparaît dès lors comme un processus de formation, la formation assurant à son tour la pérennité d’un style. « On n’appelle pas ça le style, mais plutôt une approche, précise Marie Chouinard. C’est quasiment une initiation. L’approche de l’interprétation est corporelle, avec la respiration, la colonne vertébrale. Ce n’est pas juste apprendre des mouvements chorégraphiques. Ce sont des systèmes avec des structures de mouvements où tu as accès à une quinzaine de mouvements dans telle rythmique, dans telle affaire. C’est comme un code génétique. Donc, ça demande un travail d’apprentissage. »

Une écriture vivante

 

L’acte de transmission permet notamment à l’écriture chorégraphique de rester mobile, vivante, et ce, notamment grâce à la multiplicité des interprétations des danseurs, mais aussi de plonger à nouveau dans les pièces pour les affiner, les préciser. En somme, une manière de revisiter son propre travail, tel que le propose Radicale vitalité, solos et duos, mais cette fois-ci à titre de processus de création.

Photo: Sylvie-Ann Paré «Radicale vitalité, solos et duos» agence un ensemble éclectique de trois courtes créations originales ainsi que de fragments d’oeuvres devenus autonomes sur lesquels la chorégraphe pose un regard nouveau.

« Les 25 pièces de Radicale vitalité sont des solos et des duos issus de chorégraphies de groupe que j’ai eu envie de sortir pour leur donner toute leur place, mis à part trois nouvelles créations, sorties du cartable, car je garde une trace de tout en vidéo. C’est la première fois vraiment que je fais ça, retourner vers un motif pour l’explorer autrement. Parfois, on change un peu la chorégraphie, la musique, le costume. Redonner autrement, revisiter. Un peu comme les peintres qui travaillent le même motif pendant des années et des années. » Une posture radicale telle que le présuppose le titre de la pièce. Qu’est-ce qui motive alors le désir de revenir littéralement à la racine ?

« J’ai le projet un jour de prendre une pièce, par exemple de Pina Bausch, de Balanchine ou de Trisha Brown, et de la mettre à ma manière, donc de faire comme les metteurs en scène de théâtre qui prennent une pièce de Shakespeare et la transforment. C’est quelque chose qui est en dedans de moi, qui m’excite. Je me suis dit que j’allais d’abord le faire avec moi-même. J’ai vraiment eu du plaisir. Ça confirme mon désir de revisiter. Aussi, j’aime assez les pièces courtes. Et puis c’est peut-être relié au fait que, les dernières années, j’ai travaillé à mon livre [Zéro douze], sorti en septembre. Ce ne sont que des choses très courtes avec un petit dessin, que j’ai travaillées, retravaillées, retravaillées, retravaillées. Il y a peut-être un lien avec ça aussi. Et peut-être que diriger la Biennale de Venise, inviter des pièces devenues des classiques, ça m’a donné ce goût-là. »

bODY_rEMIX / les_vARIATIONS_ gOLDBERG // Radicale vitalité, solos et duos

Chorégraphie : Marie Chouinard. Musique : Louis Dufort et Jean-Sébastien Bach. Au théâtre Maisonneuve les 28 et 29 janvier à 20 h. // Chorégraphie : Marie Chouinard. Musique : Louis Dufort, Frédéric Chopin et Carles Santos. Au théâtre Maisonneuve, du 30 janvier au 1er février à 20 h.

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