«D’os et d’écorce»: les multitudes de Roger Sinha

La gestuelle est belle et fluide, avec quelques heureux moments de rupture.
Photo: Vitor Munhoz La gestuelle est belle et fluide, avec quelques heureux moments de rupture.

« D’os et d’écorce ». Joli titre que celui de cette nouvelle création de Roger Sinha, évocatrice d’une certaine continuité entre les corporéités des six danseurs et des didgeridoos dont joue le chorégraphe sur scène. Le désir de pollinisation et de symbiose semble clé à cette rencontre de musiques et d’influences culturelles diverses.

Dans un coin du plateau, trônent des instruments de musique, dont des percussions et un didgeridoo face à un micro. Au centre, les danseurs forment un demi-cercle, dos au public. Une main traverse la brèche entre les corps, puis un bras, puis une jambe haut perchée. À travers le rempart de danseurs, on glane des bribes des mouvements d’une interprète.

Portant sur les frottements et les frictions entre le groupe et l’individu, cette nouvelle pièce de Roger Sinha donne à voir son contemporain pollinisé par diverses grammaires du corps, puisant notamment, mais pas seulement, dans son héritage multiculturel : le Bharata Natyam classique indien, les arts martiaux, la danse classique… Peut-être le langage des signes, et le baladi pour la mobilité des sternums ?

Corps musiciens

 

La gestuelle est belle et fluide, avec quelques heureux moments de rupture. Mains volubiles, parfois recourbées tel le bec d’un oiseau, jambes vertigineuses, bras qui entourent et englobent, sauts et portés à travers des duos, trios, tableaux de groupes et solos. Les solos sont loquaces, tel un manifeste. Lorsqu’ils sont ensemble, les danseurs sont en dialogue constant, par le regard aussi. Leurs bouches gesticulent, leurs souffles sont sonores, ils participent à la partition musicale par des vocalisations et des cris, comme autant de corps musiciens.

Car la musique n’est pas un support dans cette création. Roger Sinha est présent sur le plateau, jouant de plusieurs didgeridoos. Le chorégraphe connu pour sa danse contemporaine hybride et récipiendaire du prix Charles-Biddle aurait trouvé dans l’instrument aborigène un soulagement à des problèmes respiratoires. Il est accompagné par Bertil Schulrabe aux percussions. Une trame sonore est également diffusée, créée par la compositrice libano-canadienne Katia Makdissi-Warren avec les artistes inuites Lydia Etok et Nina Segalowitz, dont on peut entendre les chants de gorge dans la tradition du katajjaq.

Photo: Vitor Munhoz

D’os et d’écorce est une pièce réussie, qui, souvent, émeut et galvanise. Elle est accessible et pourrait faire une bonne introduction à la danse contemporaine, tout en étant sophistiquée. Si la synthèse entre les musiques et les vocabulaires d’origines diverses, portée par des danseurs charismatiques, fonctionne, on aurait souhaité voir un peu plus d’accrocs, de lignes de fuite dans cette danse virtuose. On a souvent l’impression que l’interculturalité, pour avoir droit de cité sur nos scènes occidentales, doit se conjuguer avec le spectaculaire.

Ce qui nous a le plus transportés dans la dernière création de Roger Sinha est, en fait, la présence du chorégraphe lui-même. Formidable corporéité que la sienne, arrimée à son didgeridoo, traversant la scène tel un guide, accompagnant les sonorités de son instrument par des cris et des incantations, par ses mains et toute sa physicalité qui se déploient. Fait d’os et d’écorce, on pourrait le regarder pendant des heures.

D’os et d’écorce, Sinha Danse

Chorégraphie : Roger Sinha, en collaboration avec les danseurs Interprètes : David Campbell, Sébastien Cossette-Masse, Marie-Ève Lafontaine, Benoît Leduc, Erin O’Loughlin, François Richard Du 22 au 25 janvier, Agora de la danse, édifice Wilder

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