«Intérieurs»: où sont les dramaturges?

Après avoir dansé en extérieur dans Habiter sa mémoire, la chorégraphe Caroline Laurin-Beaucage puise dans les traces laissées dans son corps par 200 heures d’expérimentations dans l’espace public pour créer et interpréter un solo entremêlant danse, vidéo, son et lumière. Prometteur, celui-ci aurait besoin de prendre de la bouteille sur le plan dramaturgique.
Une femme vêtue d’une robe-sculpture dialogue avec son ombre, peau rouge sur fond vert. Le travail de lumière fait qu’on a l’impression qu’elle a les pieds enfoncés, coulés dans la terre. Belle présence que celle de Caroline Laurin-Beaucage, avec son corps qui vibre, indissociable de la texture sensorielle et matérielle de l’espace. On se dit qu’il y a une force inouïe, emplie de poésie, à en faire peu, à simplement habiter, en verbe intransitif. Le début d’Intérieurs est sobre, incisif et délicat à la fois. Bras qui tranchent, buste qui hoquète, bouche qui grimace.
Tout au long de la pièce, les éclairages enveloppent et soulignent les gestes de la chorégraphe avec finesse. Formidable passage que celui, où (peu) enveloppée d’une sorte de tutu, elle semble se dédoubler, devenir hologramme. Le dispositif vidéo la montre par moments capturée dans des miroirs, échangeant avec son double dans des séquences d’une beauté insolite. On entend aussi sa voix, dans des extraits de son journal sonore enregistré au fil des performances d’Habiter sa mémoire, dans ce solo kaléidoscopique, sous le signe de la porosité spatio-temporelle. On note l’usage intelligent du rire.
Mais ausculter la mémoire de solos précédents fait-il nécessairement oeuvre ? La création s’épivarde rapidement. On perd le fil, on a une impression de trop-plein, trop de vidéos, trop d’images, trop d’éclairages, trop d’expérimentations gestuelles, trop de costumes (remarquables, du reste, créés par Dave St-Pierre), trop d’univers entrouverts. Caroline Laurin-Beaucage est une danseuse magnifique, on a grand plaisir à la voir sur scène dans cette proposition. Mais Intérieurs aurait grand besoin d’être retravaillé, d’être solidement resserré sur le plan de la cohérence dramaturgique.