«Put Your Heart Under Your Feet… And Walk!»: dernière scène

La créature fantastique créée par Steven Cohen, un croisement entre une ballerine, un papillon et un bovin, fascine.
Photo: Pierre Planchenault La créature fantastique créée par Steven Cohen, un croisement entre une ballerine, un papillon et un bovin, fascine.

Né à Johannesburg, vivant en France depuis une quinzaine d’années, Steven Cohen est de passage au Festival TransAmériques avec Put Your Heart Under Your Feet… And Walk !, un spectacle créé il y a deux ans à Montpellier. En 2016, le chorégraphe, performeur et plasticien perdait Elu, l’homme de sa vie, ni plus ni moins que son âme soeur, celui avec qui il partageait son existence depuis 20 ans, à la ville comme à la scène. Pour faire la paix avec cette disparition, renouer avec le sens, retrouver goût à la vie, le créateur a imaginé un vaste rituel à la fois religieux et païen, une cérémonie scénique et filmique d’une beauté poignante.

Pour rendre hommage à celui qu’il continue d’aimer par-delà la mort, danseur de ballet dans un milieu qui ne s’y prêtait pas du tout, Steve Cohen a disposé sur toute la grandeur du plateau, comme autant de stations d’un chemin de croix, autant de preuves de la riche existence du défunt, des sculptures réalisées à partir de chaussons. S’adressant à tous les sens, ou presque, la représentation, à n’en pas douter l’oeuvre d’un plasticien et d’un artiste de la performance, est d’une densité symbolique inouïe. Il y a le ciel et la terre, le sang et les cendres, l’homme et l’animal, le corps et l’esprit, la nature et la culture… de quoi donner le tournis au plus blasé des sémiologues.

Pendant une heure, sous nos yeux ou par le truchement de la vidéo, en silence ou alors au son des voix de Marianne Faithfull et de Leonard Cohen, l’artiste porte sans broncher, sans tricher, sans jamais se faciliter la tâche, le terrible fardeau du deuil. Son objectif : ne faire qu’un avec le mort, devenir la dernière demeure de l’être cher. Sur cette scène, vaste champ de signes, il faut admettre qu’on est surtout fasciné par l’artiste lui-même, ou plutôt par la créature fantastique à laquelle il a donné naissance, ce croisement entre une ballerine, un papillon et un bovin, cet être plus grand que nature qu’il incarne avec un rare charisme.

Si le spectacle est une épreuve, c’est certainement l’une de celles dont on sort grandi. Certains passages – à commencer par les scènes tournées dans un abattoir – sont insoutenables. Mais ce n’est jamais gratuit, tenant toujours un rôle dans l’ensemble, établissant une admirable cohabitation des extrêmes. Le solo de Steven Cohen expose un être entravé, harnaché, cherchant son équilibre juché sur des cothurnes en forme de cercueil ou portant sur ses épaules quatre gramophones en marche. Mais le spectacle concerne aussi la légèreté, l’élévation, une sorte d’affranchissement qui semble mener au divin.

Put Your Heart Under Your Feet… And Walk !

Conception et interprétation : Steven Cohen. Un spectacle de la Compagnie Steven Cohen. À l’Usine C, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 29 mai.

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