«Éclosion» et «Arupa»: avec ou sans conte?

Julie Beaulieu et Sonia St-Michel dans «Arupa»
Photo: Frédéric Chais Julie Beaulieu et Sonia St-Michel dans «Arupa»

Loin d’être une forme figée dans le temps, le kathak, danse sacrée du nord de l’Inde, continue d’évoluer à travers la transmission qui en est faite aux plus jeunes générations. Le chorégraphe Akram Khan, ambassadeur du genre sur la scène internationale en danse, l’a amplement mise sous les projecteurs et inscrite dans la contemporanéité, en préservant le rôle de conteur attaché à la tradition. Dans un court solo formel, le jeune danseur d’origine bengalais Tanveer Alam approche tout autrement cette danse percussive s’exécutant pieds nus et dans une longue tunique traditionnelle.

Mettant de côté toute intention narrative, il en module les mouvements codifiés sur une longue piste de musique électronique agissant comme un métronome et joue sur l’élasticité des ports de bras — semblant prendre ici une fonction de balanciers — et des trajectoires des mains propres au khatak. À travers des répétitions de mêmes schémas dans l’espace, l’énergie fluctue, un relâchement s’inscrivant dans la gestuelle, notamment dans le torse d’où émergent les rotations, plexus solaire tourné vers le ciel. Le danseur ralentit le rythme, prend le temps de déployer un mouvement, s’autorisant des respirations, de l’inertie et du silence. Ce qui a pour effet d’attirer l’attention du spectateur sur le travail du souffle, avant que la musique ne revienne donner une nouvelle impulsion aux mouvements dont détonnent ces tours infinis sur un même axe qui nous rappelle ceux des derviches tourneurs.

De ce solo à la contrainte rythmique rigoureusement tenue éclôt un beau vocabulaire personnel, relevant de l’exercice de style plutôt que venant soutenir ou véhiculer un propos. Comme si Tanveer Alam posait les premiers jalons d’une grammaire prête à l’usage et à se déployer. Cette signature contemporaine singulière gagnerait-elle alors à renouer avec la fonction narrative traditionnelle du khatak ?

Du New Age dans l’air

En duo, Sonia St-Michel et Julie Beaulieu s’approprient avec talent l’Odissi et le Bharatanatyam, ouvrant d’un cran de plus l’éventail de cet aperçu sur les danses traditionnelles indiennes. Une proposition qui se déploie d’abord dans la lenteur, les deux femmes se faisant face, bougeant comme dans un miroir inversé. En longue jupe blanche et hauts noirs, grelots autour des chevilles, elles tapent sur le sol un premier rythme percussif, donnant à voir les subtiles différences et ressemblances de ces deux danses classiques indiennes d’avec le khatak. En déplacement dans l’espace, les bras dessinent des formes sinueuses jusqu’au bout des doigts. L’expression sur les visages reste d’abord stoïque, tandis que leurs trajectoires s’entrecroisent et que leurs gestes entrent en dialoguent, symétriques et parallèles.

Une théâtralité vient peu à peu s’inscrire dans la pièce, comme si l’on sautait d’un registre à l’autre au moment où le duo s’installe au sol dans un cube de lumière. Toussotements, esclaffements et vocalises viennent rompre l’envoûtement rythmique et l’agile démonstration des premiers instants. La bande sonore bascule d’une mélodie à cordes ponctuée de coups de gong à la captation sonore d’une scène de vie rurale. S’ensuivent des traversés du plateau, l’une tirant l’autre sur son dos, avant d’imbriquer leurs bras l’une derrière l’autre, évoquant les déités aux bras multiples de la mythologie hindoue. Des longueurs s’installent tout au long de la proposition, si bien qu’on finit par perdre le fil et par décrocher de cette pièce dont l’allure New Age un peu vieillotte s’amplifie. Le conte final qui vient donner une clé de lecture à ce dont on vient d’être témoin arrive trop tard, juste avant de boucler la boucle, comme si on tentait en conclusion de donner une justification au quarante (longues) minutes de danse présentées.

Éclosion/Arupa

De et avec Tanveer Alam/De et avec Sonia St-Michel et Julie Beaulieu. Présentées par Tangente dans le cadre du festival Accès Asie, du 2 au 5 mai à l’Édifice Wilder – Espace Danse.

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