L’année de réflexion de 100Lux

Emmanuelle Lê Phan signe l’une des pièces des «Soirées 100Lux 2019».
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Emmanuelle Lê Phan signe l’une des pièces des «Soirées 100Lux 2019».

« On vit un moment charnière pour la danse urbaine. On sent que tout le monde est un peu tendu. Les choses bougent, mais pour aller dans quelle direction ? Comment ? Par qui ? Et pourquoi ? » Axelle Munezero, cofondatrice en 2012 de la plateforme 100Lux, elle-même danseuse, chorégraphe et prof, a la tête pleine de questions. « Le milieu se polarise entre les plus puristes, qui veulent rester street et branchés sur le communautaire, et ceux qui veulent faire ce qu’ils veulent et être ouverts à toutes les possibilités. » À quelques jours de la première des Soirées 100Lux 2019, qui présentera à Tangente sept courtes chorégraphies signées par autant d’artistes, discussion sur cette danse qui prend son envol scénique, et sur les changements que l’élan entraîne.

À sa fondation, 100Lux était une plateforme qui visait à rassembler les acteurs de la danse urbaine, quelles que soient leurs pratiques, pour partager leurs savoirs, fonder les manières d’enseigner, trouver davantage de possibilités de production et de diffusion. Bref, pour aider les artistes à pousser leur art plus loin, par réseautage et partage.

Photo: Anthony Ferla Axelle Munezero, danseuse, chorégraphe et professeure

« Ce qui a changé depuis, réfléchit Axelle Munezero, c’est que les danseurs sont maintenant plus conscients de ce qu’est une composition chorégraphique. À l’époque, tu faisais de la danse urbaine pour faire des battles. Il y avait quelques chorégraphes, très peu, qui faisaient des shows, et ceux-là mélangeaient danse urbaine et contemporaine — Rubberbandance Group de Victor Quijada et Destins croisés d’Ismaël Mouaraki. Ils ont passé la rampe en faisant de la fusion. À 100Lux, on voulait se différencier en trouvant comment chorégraphier sans mêler les genres ; en ayant une pensée, une réflexion, une manière chorégraphique issues juste de la danse urbaine. »

Une démarche pas si simple. Car à la base de la danse urbaine se trouve l’improvisation, qui exige des danseurs d’être à la fois chorégraphes, maîtres de la composition instantanée.

« On n’est pas des interprètes à la base, au contraire. On apprend à ressortir, pas à se mouler. C’est dans la culture de la danse urbaine de chercher à danser comme personne d’autre. Tu t’entraînes toute ta vie pour trouver ta propre signature. Alors c’est confrontant quand un chorégraphe ensuite arrive et te dit comment bouger. »

Si la composition chorégraphique s’est maintenant immiscée partout, encore aujourd’hui il reste ardu de convaincre un artiste de danse urbaine de ne pas danser dans sa pièce, de garder une distance par rapport à sa pièce, une distance de réflexion et scénographique, selon Axelle Munezero.

Du terrain à défricher

Les choses ont tant évolué en quelques années que la plateforme 100Lux, dans sa forme originelle, est moins nécessaire, poursuit sa cofondatrice. « Les artistes sont désormais capables de faire seuls leurs démarches. Cette année, j’ai vu Sovann Rochon en show à La Chapelle, Alexandra Spicey Landé à Montréal Arts interculturels, Helen Simard — qui fait partie de notre communauté — à l’Agora de la danse… C’est fou ! Ce sont les jeunes, ceux qui veulent expérimenter, qui ont encore besoin de 100Lux. » Car il reste du terrain à défricher.

Ainsi, peu de chorégraphies de danses urbaines s’affirment dans la durée ou en de larges groupes. Les soirées 100Lux en sont un joli symptôme, enchaînant six courtes pièces de 10 minutes, une de 20 minutes, signées par Shanyça Elie-Leconte, Magdalena Marszalek, Emmanuelle Lê Phan, Borealis Soul, Céline Richard-Robichon, Mecdy Jean-Pierre, Victor et Tito Sono. « Prends Victor, donne Mme Munezero en exemple, c’est un pur B-Boy, c’est sa première fois en théâtre. Sa capacité comme danseur est nettement supérieure à son expérience comme chorégraphe, où il débute. Donc il reste encore des opportunités à créer. »

Quel avenir pour 100Lux ? « C’est seulement maintenant que de vrais fonds commencent à se débloquer. Donc l’idée est de réfléchir aux nouveaux besoins, aux nouvelles lacunes. Peut-être que c’est à la formation des interprètes qu’il faut réfléchir, ou au raffinement des capacités chorégraphiques. Quelle sera la prochaine étape, maintenant que les diffuseurs, les subventionnaires et les danseurs sont ouverts, que le circuit est connecté ? »

Axelle Munezero aimerait que l’année serve, entre autres, à réfléchir vraiment, par des panels. « Moi, par exemple, je veux remettre en question les relations de pouvoir. On est dans un système où il y a des leaders, des mentors, ce qui est aussi très bon ; mais si ces leaders-là disent d’aller à gauche, tout le monde va à gauche. Ça donne beaucoup de pouvoir à quelques personnes ; et les interactions entre les différents leaders sont complexes. Ce sont plus souvent des hommes, âgés, avec de l’expérience. Moi, je suis une femme, jeune. Je ressens le fossé. Je m’interroge sur ces gens qu’on choisit de suivre, et pourquoi, dans une danse qui prône l’individualité ; et sur aussi sur les aspects positifs de ces leaders quand ils guident et partagent leurs expériences. » Un sujet de réflexion parmi mille autres possibles.

Les soirées 100Lux 2019

Avec sept chorégraphies de Shanyça Elie-Leconte, Magdalena Marszalek, Victor et Tito Sono, Emmanuelle Lê Phan, Borealis Soul, Céline Richard-Robichon, Mecdy Jean-Pierre. À l’édifice Wilder – Espace danse, du 25 au 28 avril.