Quand la danse s’empare d’Iggy Pop

Plongée dans les abondantes archives d’Iggy Pop, remontant le fil de sa longue et prolifique carrière, Helen Simard décèle ses moments d’échec, de gloire tardive, de perte et de deuil, des motifs qui deviennent les socles de sa pièce.
Photo: Claudia Chan Tak Plongée dans les abondantes archives d’Iggy Pop, remontant le fil de sa longue et prolifique carrière, Helen Simard décèle ses moments d’échec, de gloire tardive, de perte et de deuil, des motifs qui deviennent les socles de sa pièce.

C’est l’histoire d’une longue relation imaginaire remontant à 2013, quand la chorégraphe Helen Simard avait jeté son dévolu sur la figure charismatique d’Iggy Pop. Mêlant les codes du concert à ceux du spectacle de danse, dans le premier volet, No Fun, la créatrice mettait en relation des danseurs et des musiciens, tirant de l’époque d’Iggy et des Stooges — période agitée et boostée au LSD — « l’énergie de perte de contrôle, une façon de trouver le beau dans le laid, la rage, le chaos ». Suivant chronologiquement la discographie de l’iguane, et s’étant attachée à ses années de consécration dans Idiot, voilà qu’elle clôt maintenant le cycle en s’appuyant sur la sobriété des bons vieux jours de cette figure anti-système rattrapée par le système.

Le déclic pop

 

« Arrivé là, ça semble presque frôler l’obsession ! » plaisante la chorégraphe, qui s’apprête sereinement à tourner la page de sa saga chorégraphique. « Mes pièces traitent en fait moins d’Iggy Pop que de la relation imaginaire que j’entretiens avec cette figure. L’idée de relation très intime qu’on développe avec ces personnages qu’on idolâtre, ce temps qu’on passe à s’imaginer en relation avec quelqu’un qu’on ne connaît pas, me plaisait. Il s’agissait aussi pour moi de voir comment se construit un tel mythe. »

Profondément marquée par un concert du groupe noise Swans qu’elle observe à travers ses lunettes de chorégraphe, elle expérimente une forme de transe induite par l’intensité de la musique, ses crescendo et l’ambiance survoltée de la salle. De cette expérience a germé l’idée de centrer sa recherche sur un chanteur populaire, « dont l’art, comme le danseur, est aussi expression corporelle », et de s’emparer de sa gestuelle pour construire une base chorégraphique.

Baignant alors dans les danses urbaines, Helen Simard cherchait un artiste qui l’entraînerait complètement ailleurs : « Ce qui est très intéressant chez Iggy Pop, c’est qu’il est connu presque autant pour son corps et sa physicalité que pour sa musique. Ce corps aujourd’hui vieillissant, très public, qui a 72 ans, refuse encore de remettre sa chemise. » Et son allure, sa beauté et son magnétisme défient les stigmates rattachés aux corps âgés. Un thème que la jeune quarantenaire trouve d’autant plus pertinent en danse, ayant pris soin, pour ce dernier volet, de rassembler des interprètes de différentes générations — dont les danseuses accomplies Sarah Williams et Angélique Willkie —, convaincue qu’avec l’âge, malgré la perte de dextérité physique, l’interprète gagne en contrepartie en certitude et accède à une forme de beauté hors carcan.

Le goût de la friction

 

Plongée dans les abondantes archives de la bête de scène, remontant le fil de sa longue et prolifique carrière, Helen Simard décèle ses moments d’échec, de gloire tardive, de perte et de deuil, des motifs qui deviennent les socles de sa pièce. Tandis qu’autour d’Iggy Pop meurent à petit feu les grandes figures de sa génération (Bowie, Reed, les frères Asheton), ce dernier devient l’ultime témoin et passager de l’âge d’or du rock : « C’est fascinant de voir que le mythe de l’artiste se construit par la répétition d’une même histoire. Est-ce qu’avec le temps, l’histoire qu’on se raconte finit par devenir plus vraie que la réalité ? En jouant le personnage d’Iggy depuis qu’il est ado, en 50 ans de carrière, il a pu s’inventer et [se] réinventer. Le mystère reste de savoir quand le personnage finit et quand la personne, [Jim Osterberg], commence, » relève-t-elle, amusée par le fait que cette icône punk, anti-système, soit devenue « le petit monsieur bourgeois-millionnaire vivant à Miami » qu’il est aujourd’hui.

Alors qu’elle voit son projet né au festival Fringe se frayer un chemin jusqu’à la scène de l’Agora, la chorégraphe ne peut s’empêcher de dresser un parallèle avec son propre vécu : « C’est souvent à travers Iggy Pop que j’arrive à me questionner, je reconnais dans ce monsieur des réalités que je vis. Je suis moi aussi poussée à accepter que je fais partie maintenant d’un système. Que signifie alors repousser les codes de la danse contemporaine quand tu fais partie de l’institution ? » s’interroge celle qui se plaît à amener un public de théâtre alternatif et de musique dans un lieu consacré à la danse contemporaine, faisant en sorte que les codes du concert, moins policés et disciplinés, contaminent l’espace de la danse.

« Ce spectacle qui fait concert est mon requiem pour ma relation avec Iggy Pop », conclut la chorégraphe, parlant d’une obsession première pour ce personnage à la fois viril et féminin, brouillant les frontières, qui lui aura permis de développer une approche interdisciplinaire et de découvrir que la relation étroite entre danse et musique constitue le point névralgique de son univers chorégraphique.

Requiem Pop

Un concert chorégraphique d’Helen Simard avec Stacey Désilier, Stéphanie Fromentin, Justin Gionet, Sébastien Provencher, Sarah Williams, Angélique Willkie. Sur la musique de Roger White, Ted Yates et Jackie Gallant. Présenté par l’Agora de la danse, du 10 au 13 avril, à l’Édifice Wilder — Espace Danse.

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