«Sans faire de bruit»: le ballet des automates

François Marquis signe une première oeuvre chorégraphique pour un quatuor de femmes autour du thème de la surveillance.
Photo: Frederic Chais François Marquis signe une première oeuvre chorégraphique pour un quatuor de femmes autour du thème de la surveillance.

Metteur en scène de formation ayant baigné dans l’univers de Manon Oligny, François Marquis signe une première oeuvre chorégraphique pour un quatuor de femmes autour du thème de la surveillance. Curieusement, c’est surtout la notion de « filles en série », chère à Martine Delvaux et explorée par Oligny dans Fin de série, qui transparaîtra dans cette proposition cohérente où les interprètes semblent, de manière subtile, se faire prototypes.

Sur la scène blanche, apparaissent les quatre danseuses en uniforme similaire — col roulé vert et pantalon sombre —, dont la gestuelle hachurée rappelle celle des automates. Sommes-nous, spectateurs, de l’autre côté de la vitre d’une chambre d’essai, voyeurs et témoins d’un étrange ballet d’êtres artificiels ?

Trois femmes-prototypes, les pieds enracinés au sol, chancellent de gauche à droite, leur regard rivé vers le public, tandis qu’une quatrième, dissociée du groupe, se meut comme si elle était tirée par des ficelles invisibles. Cette image de pantins libérés de leurs attaches, mais conservant par endroits leurs vieux réflexes, se consolide au fur et à mesure que les corps aux démarches mécaniques défaillent, basculent et retrouvent leur équilibre, bras tendus verticalement et horizontalement.

Courses et arrêts nets, piétinements, traversées mécaniques, pertes d’énergie comme se décharge une batterie et reprises vives de schéma en synchronie forment le vocabulaire de ce ballet d’automates. La trame sonore d’Eric Forget crée une forme de suspense, enrobe le tout de vibrations sourdes et rompt à de multiples reprises les ambiances installées. Dans cet espace vide animé par les éclairages faisant basculer la scène de l’aube au crépuscule, les quatre personnages finissent par s’appuyer avec douceur les unes sur les autres, à tenter avec une tendre et volontaire maladresse de se calibrer et explorent jusqu’à l’absurde leurs possibilités d’interaction. À plat ventre en ligne, elles deviennent une sorte de mille-pattes dactylo, leurs doigts pianotant sur le sol, ultime image qui s’imprime dans la mémoire face à une matière chorégraphique disparate et qui finit par tomber dans la redite.

Se passer de mots

 

En première partie, Antoine Turmine, seul en scène, dissèque et distord tout en lenteur les mouvements traditionnels de la gigue dans À ceux et celles qui aiment (s’)oublier. Le danseur évolue entre deux carrés noirs collés au sol, périmètres où sont fixés des micros amplifiant les moindres claquements de talon et frottements de pied. Il y invente d’autres codes, installe une cadence dans une rythmique percussive douce, décalée et ponctuée de déséquilibres. On suit aisément cette entrée dans la matière qui attise notre curiosité, jusqu’à ce que l’écriture d’une citation à la craie sur le carré principal vienne prendre toute la place de cette forme courte, nous laissant livré à nous-même dans la perplexité. Dos tourné au public, se donnant visiblement des contraintes chorégraphiques dans l’inscription du message au sol, l’attention du spectateur se trouve déviée de l’engagement physique du danseur pour se poser sur la lecture progressive du message en train de s’écrire. En résulte une frustration face à cette proposition qui peut bien prétendre à l’insolite et au renouveau contemporain d’un vocabulaire traditionnel, mais qui aurait, selon nous, mieux fait de se passer de mots.

Sans faire de bruit / À ceux et celles qui aiment (s’)oublier

Création de François Marquis avec Audrey Bergeron, Élise Bergeron, Annik Hamel et Kim Henry / Création de et avec Antoine Turmine. Présentées par Tangente, jusqu’au 31 mars à l’Édifice Wilder – Espace Danse.

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