«Tlakentli»: les squames du colonialisme

«Tlakentli» fait se télescoper adroitement des éléments autobiographiques — filiation et parcours de migration — et des rappels à l’histoire coloniale des Amériques.
Photo: Maxime Côté «Tlakentli» fait se télescoper adroitement des éléments autobiographiques — filiation et parcours de migration — et des rappels à l’histoire coloniale des Amériques.

Leticia Vera et Carlos Rivera sont tous deux des artistes autochtones originaires du Mexique dont la démarche implique une réappropriation des rites et symboles des cultures qui leur ont été confisquées. Sous la direction d’Yves Sioui Durand, le duo porte en scène une fresque à la chronologie circulaire dont le coeur repose sur la métaphore d’une mue identitaire. Dans une simplicité narrative portée par la théâtralité de la danse et des séquences de théâtre physique, Tlakentli fait se télescoper adroitement des éléments autobiographiques — filiation et parcours de migration — et des rappels à l’histoire coloniale des Amériques.

Sur scène, de l’encens brûle et embaume la salle en montant dans les gradins. La pièce s’ouvre sur une danse serpentine en ondulation des bras, sur fond de projection d’un relief représentant le serpent à plumes, déité chère aux Aztèques. Remontant aux origines primales de l’humain, dans des reptations à travers le plateau, Leticia Vera et Carlos Rivera en justaucorps beiges incarnent un couple de reptiles s’amusant à s’envoyer une balle. Un musicien, côté cour, les accompagne avec ses percussions, une trame se superposant au souffle du vent.

Une légèreté comique s’instille à travers l’enfilade de tableaux, les gestes s’apparentant au théâtre physique, faisant glisser la charge de la pièce de la légèreté à la sévérité en un claquement de doigts. Les textes sont livrés dans un entrelacs de langues où se mêlent l’espagnol, le français, l’anglais et le nahuatl (langue des peuples indigènes du Mexique).

Les costumes sont centraux dans la pièce — Tlakentli, mot nahuatl, désignant les habits. Le vêtement opère ici comme un outil de travestissement identitaire, d’abord utilisé de façon ludique — permettant de rejouer les stéréotypes du folklore mexicain et des danses de salon façon années 1950 — pour finir par devenir porteur d’oppression, car faisant disparaître tous signes indigènes des corps à travers l’évangélisation forcée.

Migration vers le Nord

 

Les parcours d’immigration des deux artistes s’inscrivent dans une histoire plus vaste alors qu’ils tracent une ligne entre les violences faites aux peuples indigènes et leurs histoires personnelles, intimes et filiales. Les documents d’archives — portrait de famille figée et vidéos témoignant de la présence autochtone au Mexique — cohabitent avec ce qui se joue en scène.

« Je fuis les mensonges d’un pays raciste, je fuis les mensonges de ma propre famille qui nie ses origines, » laisse tomber avec sévérité Leticia Vera faisant face au public. Au Nord, la violence s’incarne dans la spoliation et la dénaturation des terres.

Réflexion sur une violence

 

Les corps se défont de leurs squames coloniales pour adopter leurs habits traditionnels. Incarnant deux personnages issus de leurs mythologies communes, pour clore la boucle, les artistes font à nouveau basculer leur univers vers un retour aux origines, conjurant la violence et le sacrifice. Une fin éloquente pour cette pièce qui offre une perspective sur les réalités autochtones d’Amérique latine — similaires à celles d’ici — et qui s’interroge sur le statut colonial des frontières, tout en mettant en avant la beauté des symboles et coutumes d’une culture singulière.

Tlakentli

Une création de Leticia Vera, Carlos Rivera et Yves Sioui Durand (Les Productions Onkinnok). Jusqu’au 16 mars à la Cinquième Salle de la Place des Arts.

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