«XENOS»: les destins enchaînés

En talentueux conteur d’histoire, Akram Khan restitue de la Première Guerre mondiale le cauchemar éveillé des tranchées.
Photo: Jean-Louis Fernandez En talentueux conteur d’histoire, Akram Khan restitue de la Première Guerre mondiale le cauchemar éveillé des tranchées.

En talentueux conteur d’histoire, Akram Khan restitue de la Première Guerre mondiale le cauchemar éveillé des tranchées où les corps brisés s’agrippent à la vie comme à une corde fragile sur le point de céder à tout moment. Par cette oeuvre hommage aux soldats de l’Inde coloniale mis en première ligne durant 14-18, le danseur bangladais de 43 ans à la grande mais éprouvante physicalité tourne une page en tirant sa révérence à titre de performeur. Se faisant, XENOS ne déroge pas aux performances magnétiques auxquelles l’artiste nous a toujours habitués.

Sur scène siège un large plan incliné recouvert de cordage, sorte de paroi d’un volcan crachant de la terre. En contrebas, des chaises et des coussins de couleurs vives évoquent l’intimité d’un salon qui se trouvera avalé vers le haut. En guise de prélude, le public est accueilli par le chant et les percussions de deux musiciens présents sur le plateau. L’air chanté tantôt mélancolique, tantôt enjoué semble renfermer une histoire. De fortes vibrations comme des bombes qui pleuvent à l’horizon viennent interrompre la complainte avant qu’entre en scène avec fracas, telle une figure revenue des morts, le personnage du soldat incarné par Akram Khan.

En tunique blanc cassé, de ses pieds nus le danseur frappe des rythmes vigoureux au sol faisant résonner les chaînes enroulées autour de ses chevilles — partie intégrante du costume de khatak, mais dans le contexte donné également reflet de l’assujettissement des corps subalternes. Sa danse percussive entre en dialogue avec la trame musicale portée par les deux musiciens en scène.

Une théâtralité appuyée habite tout au long de la pièce les figures qu’Akram Khan reprend du khatak, danse sacrée indienne. Les mouvements se déploient en trajectoires courbes et sinueuses des bras jusqu’au bout des doigts, ainsi qu’en rotations vives, véloces et infinies s’évanouissant en arrêts nets et secs.

À la lueur d’une ligne d’ampoules subissant de multiples courts-circuits — une manière de figurer les attaques et salves d’obus —, le corps isolé dans sa tranchée, chutant, rampant et suspendu péniblement à la paroi résiste à sa domestication militaire. Plongé dans l’attente au creux de la tranchée, l’esprit vacille. Une voix off émise par un tourne-disque nous permet de pénétrer dans la conscience solitaire face à la machine à broyer l’humain qu’est la guerre. La guerre de qui ? interroge la voix avant de réciter une liste de noms des grands oubliés comme on lirait sur un disque rayé l’épitaphe d’un monument du souvenir.

Empreintes de lyrisme et de tragique, les scènes se succèdent, de plus en plus poignantes. La beauté de la danse et la présence magnétique d’Akram Khan se trouvent soulevées par les cordes de cinq musiciens qui apparaissent en fond de scène par un procédé subtil. Cette trame musicale, glissant d’un registre indien au Requiem de Mozart, catalyse les émotions tandis que dans une image finale ce monde obscur de destins affligés et enchaînés des subalternes dépeint dans XENOS se referme sur le danseur.

XENOS

Une création de et avec Akram Khan. Présentée par Danse Danse au Théâtre Maisonneuve du 13 au 16 février.



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