«Bach» et «Gira»: ode au métissage

Elles sont rares, ces compagnies qui parviennent à transcender les grands classiques de la musique et à en proposer des lectures mémorables. Les Brésiliens de Grupo Corpo, chef de file de la danse contemporaine dans leur pays, relèvent le défi haut la main dans un programme double qui saute d’un registre à un autre avec une adresse imparable.
Ouvrant le bal, Bach, oeuvre de répertoire créée en 1996, semble avoir bien résisté à l’épreuve du temps. Dans cet ensemble formel impeccable, les danseurs dynamisent les mélopées baroques de Bach avec engouement. Dans cette pièce aux tableaux monochromes, glissant sur une gamme de couleurs noir, bleu et or, les corps sont habités par la musique sans en être esclaves.
Suspendues à des barres de métal semblables à de longs pendules, des silhouettes aux contours lumineux descendent sur scène et se lancent dans des phrasés qui s’entremêlent sur un chant solennel et les notes d’un orgue. La lumière s’intensifie sur les danseurs aux justaucorps noirs ultramoulants s’arrêtant au-dessus du genou. Leur costume met en valeur leur virtuosité, qui s’illustre de manière fort enjouée, tandis que leur gestuelle fait la part belle aux déroulés rythmés au sol, aux tours véloces, aux développés vifs et arabesques modernes. Ici, les formes ballettiques sont ourlées de déhanchés et jeux de jambes aux inflexions de samba.
Des unissons reviennent avec récurrence entre des pas de deux aux mouvements élastiques et où les partenaires se propulsent vers les barres pour y suspendre diverses figures et mouvements. Au fur et à mesure, les duos gagnent en fluidité, tandis que des accents de danse sociale, comme des clins d’oeil aux danses de bal, s’y inscrivent, permettant une mise en danse de la musique inattendue. Dans un final où leurs corps en uniforme doré sont magnifiés, les interprètes arrivent au point d’orgue de la partition, un moment électrisant.
Un hommage aux danses sacrées
Plus crue et décorsettée, Gira, pièce récente de la compagnie, s’inspire des danses spirituelles umbanda, culte afro-brésilien qui résulte d’un syncrétisme entre la religion catholique et des rites africains et indigènes d’Amazonie.
Sur l’excellente bande-son composée sur mesure par le groupe afro-brésilien Méta Méta, la chorégraphie est réglée au quart de tour. Disposés en un large arc de cercle, un point lumineux au-dessous de leurs têtes, les 22 danseurs se dissimulent sous un voile noir en tulle. À tour de rôle, ils jaillissent de la pénombre pour prendre place au centre de la scène. Le torse nu, une longue jupe blanche autour de la taille, s’enchaînent des danses qui métissent les codes du ballet, du contemporain, des troncs cambrés tournés vers le sol qui basculent avec souplesse vers le ciel. La musicalité des mouvements qui épousent les sonorités de jazz libre aux grains rugueux proche du post-punk envoûte.
Ici, une place est laissée à l’unicité de chaque solo où le rythme s’inscrit jusque dans les tapements de pieds et les sursauts d’épaules. Unique bémol, on se serait passé de quelques pas de deux trop convenus dans cette pièce où c’est la musique qui prend possession des corps. Une ode respectueuse au métissage tant des codes que des cultures.