Katya Montaignac et Nadège Grebmeier: la danse, hors du spectaculaire

La danseuse Katya Montaignac s’est associée à l’artiste visuelle et performeuse Nadège Grebmeier Forget pour codiriger «Attabler», un projet inédit.
Du beau, du divertissement, de l’émotion. Voilà des étiquettes rébarbatives qu’on colle encore aux œuvres de danse pour en faire des produits culturels. Et si l’on permettait à la danse de s’extirper de la marchandisation des arts du spectacle et de se montrer autrement que sous la forme d’un produit fini servant d’échappatoire au réel ?
Mis en œuvre par la danseuse Katya Montaignac, Attabler est un objet atypique proche de l’essai chorégraphique qui fait se télescoper gestes dansés, prises de parole, images plastiques et fragments de texte. Fidèle à l’esprit de la compagnie de faire déborder la danse de ses cadres habituels, la principale tête pensante de La 2e Porte à Gauche s’est associée à l’artiste visuelle et performeuse Nadège Grebmeier Forget pour codiriger ce projet inédit et élaboré sur la longue durée.
Les deux directrices artistiques et leurs collaboratrices — Emma-Kate Guimond, Hanako Hoshimi-Caines et Véronique Hudon — ont tiré matière d’une série de séminaires menée sur deux ans à l’Agora de la danse. Un cadre où des artistes aux bagages pluridisciplinaires ont pu mettre leurs idées sur table et réfléchir autour d’une question de base : « Qu’est-ce que la danse produit (d’autre) ? » En se livrant à l’exercice de penser à partir de la danse, chaque participant a laissé sa trace dans le processus de création ; d’où les présences fantomatiques et les citations invisibles qui viendront teinter les performances des cinq femmes.
Une formule parallèle
« Ce qui m’intéressait à l’origine, c’était d’imaginer le format du spectacle de danse d’une manière plus large et de regarder la danse par des prismes différents et élargis, explique Mme Montaignac. En danse, on a tendance à répéter certains patterns. À La 2e Porte à Gauche, on a toujours travaillé à nous interroger sur ces habitudes, à les modifier et à changer les modalités de réception des œuvres. Notre pari était de mettre la situation de partage de nos pratiques et de nos rituels en amont de la création et de laisser le public en être témoin. »
On ne s’est pas attachées à l’idée de lisser et de polir un spectacle. Pour nous, l’œuvre déborde du temps de la performance. C’est à la fois un prolongement et une trace de nos échanges et de nos relations, qu’on a voulu rendre visibles sous différentes formes.
En se défaisant du dispositif à l’italienne et de la boîte noire, les créatrices ont imaginé un dispositif plus malléable proche de celui de la galerie et adoptant la forme d’un 5 à 7. Il s’agit pour elles de déjouer les codes ordinaires du spectacle, de proposer un type de relation plus engageante entre spectateur et performeur et de mettre en valeur ce qui est habituellement édité de la création pour faire un spectacle : « On ne s’est pas attachées à l’idée de lisser et de polir un spectacle. Pour nous, l’œuvre déborde du temps de la performance. C’est à la fois un prolongement et une trace de nos échanges et de nos relations, qu’on a voulu rendre visibles sous différentes formes. »
Assumer le dissensus
« On est dans un monde qui bouge super vite et qui produit énormément. Un des thèmes qui revenaient dans nos temps de recherche était l’éthique du “care” et le fait de prendre soin. On s’est donc permis de prendre le temps d’explorer sans que la création d’une œuvre devienne une finalité en soi », affirme Nadège Grebmeier Forget, pour qui le fait de travailler en collectif transforme foncièrement l’approche et pose de nouveaux enjeux de responsabilité partagée. Par leur prise de position, les artistes entrent en tension par rapport aux modes de fonctionnement et aux impératifs de production de l’institution qui les accueille. L’idée de résistance, un des principaux sous-thèmes de leur recherche, s’inscrit ainsi à même la forme de l’essai dansé.

« Il est vrai que ce projet est pour nous une façon de résister, même si on se méfie beaucoup de ce terme-là, parce qu’on le trouve un peu galvaudé et presque à la mode. Comme artistes, résiste-t-on encore aujourd’hui ? Si oui, comment ? » se demande Katya Montaignac, soulignant que le terme « résistance » sert de plus en plus de faire-valoir marketing. Préférant écarter la prétention de la résistance par l’art de leur discours, les deux complices ont voulu traiter cet enjeu en l’élargissant à notre société contemporaine. Les réflexions livrées sur ce point dépassent les pratiques artistiques et s’étendent également à la sphère personnelle : « On sait que le milieu de l’art est très surproductif, mais même dans nos vies personnelles, on retrouve à différents degrés ce même impératif de dépassement de soi, de devoir doublement s’afficher, de briller, d’être présent et visible. »
Au fil de ce processus collectif est apparue la nécessité de laisser des interrogations en suspens et de ne pas chercher à tout prix de consensus, mais d’au contraire, laisser résonner les dissensus provenant de la diversité des points de vue des participants aux séminaires. Cette pluralité est un point auquel tient la directrice sortante de La 2e Porte à Gauche, car pour elle, plus il y a de voix, plus l’œuvre gagne à montrer les façons différentes d’entrevoir la création et d’entreprendre le mouvement.