La montagne sacrée de Pep Ramis

Bien qu’il touche principalement à la conception scénique et à la dramaturgie, Pep Ramis a toujours considéré le corps comme son principal outil de travail. Alors qu’on le découvrait comme interprète en duo aux côtés de la chorégraphe Maria Muñoz dans Le cinquième hiver (à l’Agora en 2015), l’artiste catalan se livre cette fois à l’exercice du solo en intégrant le dessin, le chant et le texte à sa danse. Une approche chorégraphique personnelle et non académique forgée au long de 30 ans de cocréation avec sa partenaire danseuse au sein de la compagnie Mal Pelo.
« Revenir à la forme du solo était un désir que j’avais depuis longtemps. Après toutes ces années, tout ce bagage accumulé, j’ai voulu mettre au point mes idées et surtout m’interroger sur mes vrais intérêts en tant qu’interprète qui n’a plus 20 ans », explique l’artiste cinquantenaire qui cherche aujourd’hui à se défaire des choses superflues pour aller au fond de ce qui l’intéresse. « J’ai commencé à danser à l’âge de 24 ans, et avant, j’ai surtout fait de la musique. J’ai étudié le violoncelle et, venant d’une famille où le dessin était fort présent, j’ai toujours dessiné. C’était important pour moi d’inclure aussi ces éléments qui ont marqué mon parcours d’artiste dans le processus de création. »
Dépeindre les contradictions
Partant du simple constat que l’être humain est capable du meilleur comme du pire — « capable d’imaginer de merveilleuses inventions, mais de se servir de ces mêmes inventions pour tuer et mener des guerres » —, Pep Ramis a imaginé un personnage aux multiples facettes, tout sauf manichéen : « Souvent, on veut se montrer sous un jour positif, on ne laisse paraître que son côté lumineux, mais il y a en chacun des zones d’ombres difficiles à reconnaître qui sont aussi pour moi d’une beauté singulière. »

C’est ce caractère ambivalent de l’humain qu’il cherche à évoquer à travers les contrastes entre le blanc et le noir amenés sur scène. Un travail sur les couleurs et la lumière inspiré par les peintures de Caravage, où figurent des corps âgés. Ces toiles provoquent chez lui paradoxalement une certaine quiétude, ainsi que des moments de contemplation soutenus ; des effets qu’il cherche à transposer sur scène.
Quête initiatique
The Mountain, the Truth and the Paradise se conçoit comme le voyage d’un personnage en constante transformation à travers des cadres qui s’interpénètrent. Une sorte de quête initiatique évoquée d’emblée par l’image de la montagne, lieu qui permet de se mettre en retrait du monde et qui symbolise l’élévation spirituelle : « À partir de trois icônes — la montagne, la vérité et le paradis — j’ai voulu aborder comment on peut vivre la spiritualité aujourd’hui. À vrai dire, je pense qu’on a perdu cette faculté de chercher des vérités et des perceptions différentes du monde à travers la spiritualité. Pour moi, ça n’a rien à voir avec la religion ; la spiritualité est plus essentielle et basique. »
Cette idée d’ouverture à de nouvelles perceptions et au saisissement de vérités sous-jacentes s’instille dans les mots d’Erri De Luca dont Pep Ramis utilise des fragments de texte sur scène. Chez le poète italien, la capacité de s’émerveiller face aux choses basiques et quotidiennes de la vie est centrale. Un émerveillement constamment mis à notre disposition, car il peut advenir à travers la simple observation d’objets du monde modeste. Une émotion fugitive qui, pour être perçue et vécue, nécessite un ralentissement, une prédisposition à la contemplation et une réévaluation de ce qui compose notre environnement quotidien.