De l’utopie au cynisme à Tangente

«Eve» de la chorégraphe italienne Margherita Bergamo est une expérience de réalité mixte qui floute les frontières entre le réel et le virtuel.
Photo: David Wong «Eve» de la chorégraphe italienne Margherita Bergamo est une expérience de réalité mixte qui floute les frontières entre le réel et le virtuel.

Eve de la chorégraphe italienne Margherita Bergamo est une expérience de réalité mixte qui floute les frontières entre le réel et le virtuel. Du moins pour ceux ou celles qui vivent l’expérience de l’intérieur. Un privilège donné à trois « cobayes » consentants, dont votre critique.

L’espace qu’installe la créatrice se veut intimiste. On prend place au sol autour des danseuses dans un périmètre délimité par des éventails. Derrière chacune des filles en combinaison se trouvent des écrans qui accueilleront les films qui se jouent dans les casques des trois participants. Présente au centre du périmètre, Margherita Bergamo guide ses interprètes progressivement dans des danses aux figures souples et sinueuses jusqu’au bout des doigts. Les trois « cobayes » se retrouvent couplés avec une des interprètes qui nous offrent à chacun une danse. Une première étape d’apprivoisement par le toucher s’établit de manière douce, alors que chacune nous embarque dans une danse contact en duo.

Puis on répète l’expérience avec le casque de réalité virtuelle sur les yeux. Glissé dans la peau d’un personnage dont je ne vois que les mains et les extrémités du corps, je me retrouve dans un lieu public à Lyon, où une danseuse « virtuelle » exécute un solo pour moi. Alors que celle-ci m’approche et se colle à mon avatar, une danseuse en chair et en os vient de manière synchrone à mon contact. Mes perceptions entre l’espace de la RV dans lequel je suis projetée et l’espace réel du studio auquel je reste connectée grâce à mes autres sens se retrouvent troublées. J’expérimente une confusion des perceptions surtout à travers le toucher, allant jusqu’à sentir le souffle de ma danseuse attitrée contre ma joue.

L’agitation des interprètes dans la salle est perceptible, alors que j’essaie de me laisser aller dans la danse en suivant les indications de ma partenaire virtuelle. Mon avatar qui répond aux indications de la danseuse me pousse à agir, mais je n’ai pas de pouvoir sur ses gestes. Si l’expérience de floutage des frontières entre le réel et le virtuel s’avère intéressante à vivre de l’intérieur, on se sent tout de même un peu frustré d’être limité et contraint dans nos déplacements spatiaux. Il manque aussi des liens entre l’esthétique convoquée dans le studio par la chorégraphe et celle de la réalité virtuelle présentée. Pour avoir expérimenté la RV en danse avec des censeurs sur les pieds et les mains nous permettant d’être maîtres de nos avatars (VR_I de Gilles Jobin), on mesure ce que pourrait donner l’expérience si elle était poussée à son plein potentiel technologiquement.

Le non-sens de la fête

 

Création multidisciplinaire qui ne ménage pas ses effets, Le troisième été d’amour de la jeune compagnie Dans son salon adopte le ton de l’autodérision pour peindre un portrait au vitriol de l’idéalisme millénial. Le tout avec pour thème central une absurde quête d’une nouvelle révolution par la fête.

Seule face à son public, Marijoe Foucher incarne un personnage d’entrepreneuse nouveau genre, sorte de gourou du marketing, dans une performance aux allures de Ted Talk artistique délirant et pseudo-révolutionnaire.

Évoluant autour d’un grand cube noir tapissé de tulle accueillant des projections sur les quatre faces, la performeuse se lance dans un discours d’accueil aux pointes provocantes adressées aux spectateurs, leur promettant un safe space incluant toute une panoplie d’identités diverses et reconnaissant être en territoire autochtone sur une note provocatrice par endroits gênante. Jouant à l’artiste illuminée, elle multiplie volontairement les formules creuses (think outside of the box) et tourne en dérision les tendances artistiques contemporaines (indiscipline, interdisciplinaire, danse performative, participation du public). Celles-ci se retrouvent fâcheusement réduites à de vulgaires postures et clichés.

Pourquoi se prendre au sérieux quand l’art ne change plus vraiment le monde ? C’est ce que semblent vouloir nous dire les cocréateurs. Mais on en vient sérieusement à se demander si nous avons pour autant réellement besoin de cette réitération des clichés qui pèsent sur le milieu des arts contemporains. Puis, on finit par réellement s’exaspérer face à cette création à la forme vraiment très soignée et sophistiquée (arts visuels, conceptions sonores, aspect documentaire très bien menés), mais au contenu qui glisse dans un cynisme qui nous laisse très dubitatif et provoque l’ennui.

La chauffeuse de salle qu’est Marijoe Foucher reste cependant efficacement investie dans son rôle et parvient à gagner l’adhésion de ses spectateurs déjà acquis d’avance en cette soirée de première, semblerait-il. On sort personnellement étourdi de la salle avec un arrière-goût amer face au caractère vain d’une telle satire gratuitement provocante.

Eve (la danse est un espace sans lieu)

Une création de Margherita Bergamo et de Daniel González (Voix Omnipresenz) avec Jenna Beaudoin, Élise Boileau, Raphaëlle Renucci et Margherita Bergamo.

Le troisième été d’amour

Une création de Benjamin Prescott La Rue et Emmalie Ruest (Dans son salon) avec Marijoe Foucher.

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