La danse-thérapie et le mieux-être chez les Grands Ballets canadiens

Les cours de danse-thérapie sont adaptés à différentes conditions, notamment la maladie de Parkinson.
Photo: Grands Ballets canadiens Les cours de danse-thérapie sont adaptés à différentes conditions, notamment la maladie de Parkinson.

En déménageant leurs locaux dans l’Espace danse du Wilder, les Grands Ballets canadiens de Montréal (GBC) ont trouvé l’espace pour réaliser leur Centre national de danse-thérapie (CNDT), imaginé depuis les années 2010. À la veille du Symposium international sur la danse et le mieux-être, qui réunira quelque 200 participants, regard sur le nouveau Centre, ses forces, ses visées et ses bémols.

Le CNDT veut être « un fédérateur d’expertises, un catalyseur », explique Christian Sénéchal, son directeur. « On est là surtout pour offrir un service à la communauté, illustre-t-il, et une accessibilité à la danse ; de façon générale, c’est la vision des GBC de faire la promotion de la danse pour le mieux-être. Mais si j’ai l’occasion qu’un de nos cours de danse adaptée devienne un laboratoire pour un groupe de recherche avec lequel on collabore, pourquoi pas ? L’idée, c’est de trouver comment travailler ensemble pour avoir de meilleures pratiques, offrir de meilleurs services, avoir les meilleurs types de formations en fonction des interventions et être capable de mieux documenter les actions. »

Avec seulement trois employés, le CNDT s’appuie sur divers comités à géométrie variable, selon les projets et les expertises nécessaires. Un comité scientifique d’une vingtaine de chercheurs vient penser la recherche ou la danse-thérapie, par exemple, comme pour ce projet avec Sainte-Justine auprès des anorexiques. Un autre comité aide à monter les cours de danse adaptée aux personnes trisomiques, autistes et bientôt aux non-voyants (voir article ci-contre). Car un des désirs du CNDT et de son directeur est d’aider à recoudre le fossé qui persiste entre chercheurs, danse-thérapeutes, et danseur. Et de forger d’ici dix ans une formation professionnelle supérieure en danse-thérapie, entre les universités Concordia, McGill et l’UQAM.

Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Le directeur du Centre national de danse-thérapie, Christian Sénéchal

Le CNDT souffle un dynamisme sur un milieu souvent miné par la lenteur universitaire, et promeut soudain grandement la danse adaptée et la danse-thérapie. Le Centre arrive vite et fort, publicités à l’appui. Trop vite ? Ne craint-il pas de bousculer un écosystème qui existait, plus discrètement, depuis les années 1980-1990 ? « Je ne comprends pas la question, répond M. Sénéchal. Je ne vois pas comment on change l’univers. On travaille en étroite collaboration avec l’UQAM, Concordia et McGill. »

Hypocrisie dénoncée

 

Des acteurs de ces bastions émettent pourtant, sous le couvert de l’anonymat, de larges critiques. « C’est comme si les GBC inventaient la roue », dira une chercheuse, « oubliant parfois de mentionner, si on ne leur rappelle pas de le faire, que le crédit de certains cours qu’ils offrent et promeuvent revient aux universités ». Les GBC mettent en lumière certains chercheurs, initiative saluée, mais ont tendance à tirer la couverture sur eux. « Ils arrivent avec une stratégie très agressive, très commerciale — c’est troublant, pour de la danse-thérapie — qui joue à la fois sur le prestige du ballet et sur l’ignorance de la danse qu’ont le grand public et les institutions », nommera une autre spécialiste.

Le coût des classes, à 20 $, est élevé pour les familles devant vivre avec un handicap. Par contre, les GBC ont une rare capacité à aller chercher du financement privé, qui pourrait aider à résoudre cette situation. « Un donateur, la Fondation Molson, offre le cours pour jeunes adultes autistes pour l’année », illustre la chef des relations médias, Natalie Dion.

L’intégration de la danse-santé au coeur d’une compagnie de classique, une des formes fondamentalement les plus exclusives, surprend. « Le classique propose un entraînement presque antinaturel, en misant sur une plus grande technicité, en répétant toujours les mêmes mouvements », indique une universitaire. « C’est un entraînement virtuose ; le choisir pour prôner le mieux-être est pour le moins étonnant. »

« Il y a une hypocrisie à prétendre au bien-être corporel d’un côté tout en exigeant des critères corporels précis pour ses danseurs de l’autre », s’insurge Sylvie Marchand, activiste. « Dans le milieu thérapeutique, le ballet classique n’a aucune légitimité. » Une contradiction que M. Sénéchal ne conçoit pas, répondant à ce sujet un élusif « nos directeurs s’impliquent beaucoup et croient profondément au projet ».

France Geoffroy, danseuse et professeure de danse intégrée chez Corpuscule Danse, fondée en 2000, ne peut entériner la vision actuelle du CNDT, basée sur « la séparation des groupes par diagnostic. Ce qui est important, c’est la mixité ; alors, on est en train de briser les tabous du handicap et de la maladie. Si le but, c’est de se réunir pour l’amour de la danse, il faut rejoindre tout le monde, et mettre les handicapés et les debouts ensemble, sans jugements ni préjugés ni compétition. » Vrai toutefois que la séparation par diagnostic permet une approche plus précise, pour des besoins spécifiques.

Joanabbey Sack, du Département des arts-thérapies à l’Université Concordia, salue le dynamisme du CNDT, qui est en train de faire de Montréal un arrêt essentiel, une route américaine alternative pour les acteurs de la danse-thérapie. Toutefois, il lui semblerait essentiel qu’il y ait un danse-thérapeute dans l’équipe permanente du CNDT, en amont de toutes les réflexions et décisions.

« Chacun son terrain, nommait Christian Sénéchal en entrevue. Moi, je suis capable d’aider en ce qui concerne les liens avec la communauté. Et oui, on a un côté business. On veut voir comment on peut travailler ensemble. » Qui alors dans cette danse devra s’adapter ?

Symposium international sur la danse et le mieux-être

Du 24 au 26 mai, à l’Espace danse du Wilder

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