«Technologies contemplatives» — Faire fragments

Sarah Bronsard et Patrick Saint-Denis
Photo: Kinga Michalska Sarah Bronsard et Patrick Saint-Denis

Malgré le titre — Technologies contemplatives —, ni les technologies ni la contemplation ne sont le coeur battant des pièces de cette soirée Tangente. Plutôt le fragment, la fragmentation (visuelle et chromatique dans Kaléidoscope, de Kim-Sanh Châu ; musicale, sonore et respiratoire dans Èbe, de Sarah Bronsard et Patrick Saint-Denis) et un jeu d’humanisation/imagination de mécanismes.

D’étranges machines à roulettes et hauts cols, métalliques, sont alignées sagement à l’arrière-scène. L’artiste audio et de la robotique Patrick Saint-Denis vient les illuminer et les assombrir en faisant tournoyer au-dessus de sa tête une lampe au bout de son fil. Effet de lanterne magique. Le même mouvement finit par produire un son. Puis un autre, et encore un autre. Bientôt, Sarah Bronsard s’ajoute à cet univers machinal, pour faire bouger plus organiquement ces robots émetteurs de sons — soufflets ? poumons mécaniques ? accordéons ? Ah ! Oui ! Accordéons ! —, tour à tour éléments de décor, partenaires, interprète à part entière.

La première partie d’Èbe, entre humains et machines, est très belle. Étonnante par l’espace que les créateurs laissent respirer — c’est rare chez de jeunes artistes — ; par leur propre effacement, très efficace ; par une belle contemporanéisation du flamenco ; par les surprises que la trame du début déploie, si cohérentes dans l’univers qu’elles semblent une évidence une fois apparues. Comme le bruit percussif et bas (de manière sonore et physique) des tacons qui répondent aux têtes hautes et ahanantes des accordéons. Ou comme lors de l’enchaînement soufflets-respiration-éventail, la pièce propose des associations de sensations et d’idées assez claires pour inviter le spectateur à compléter le propos, assez retenues pour rester mystérieuses. On ne peut s’empêcher de penser au travail conjoint d’Anne Thériault et Martin Messier, et l’esthétique semble soeur de celle de Con Grazia. À partir de la scène de l’éventail, qui manque de plénitude par rapport à ce qu’on a vu avant, la courbe dramatique, jusque-là si habile, s’écrase. Peut-être est-ce parce qu’il est difficile, pour les spectateurs, après avoir tant investi les robots, de les voir redevenir des objets ? Si Èbe n’est pas encore à son plein épanouissement, la pièce dévoile des intelligences artistiques fort prometteuses.

Kaléidoscope est une autre de ces propositions — elles sont nombreuses, ces temps-ci — qui cherchent à décorseter le rapport au spectateur et le corps même de ce dernier. Ici aussi, l’invitation lancée et la mise en public manquent de clarté, de cohérence. Est-ce un espace tripatif, comme le laissent croire les pieds nus, coussins, couvertures, et où l’on doit s’échanger entre voisins les lunettes à facettes qui colorent, fragmentent et font scintiller non seulement les danseuses, mais tout l’environnement ? Si oui, pourquoi est-ce que les présences des artistes (incluant les concepteurs) restent distantes, engoncées, froides dans cette proximité ? Pourquoi ce silence traditionnel où les chuchotis semblent bannis ? Sommes-nous là chacun pour soi dans un clos voyage intérieur, ou tous ensemble ? La pièce joue sur les perceptions, essentiellement visuelle. On pense à l’exposition Maison des ombres, d’Olaf Eliasson, passée récemment au Musée d’art contemporain. Ou, moins élégamment, à un générique de début de James Bond. Car Kaléidoscope, finalement, cumule surtout les effets. Et comme ils ont peu d’impact sur les corps, des danseuses, ou spectateurs, on finit par avoir l’impression d’une mécanique.

Technologies contemplatives

Une soirée présentée par Tangente. «Kaléidoscope», de Kim-Sanh Châu, avec Ariane Dessaulles et Melina Stinson, et «Èbe», de et avec Sarah Bronsard et Patrick Saint-Denis.

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