Danse - Art des villes, art des champs

Mélange de vidéo, de danse, de musique, de capsules sonores et de peinture, extinction annonce un spectacle à multiples couches de sens et de procédés, difficile à catégoriser. Créé en plusieurs étapes, le projet est né en Saskatchewan, a grandi au Mexique et mûri à Montréal dans le cadre de work-in-progress présentés au Studio 303 en octobre, novembre et décembre 2002.

Mais c'est d'abord dans la tête de la chorégraphe et danseuse Lin Snelling que l'idée a pris forme. Elle venait de lire un article sur des fermes abandonnées des plaines de l'Ouest et a été saisie par la beauté des images, paysages infinis reprenant le pas sur la civilisation qui s'y était épanouie.

«Il y avait quelque chose de majestueux, comme une espèce de grandeur déchue, qui n'avait pas eu tout à fait le temps de s'exprimer», raconte Lin Snelling. L'aventure artistique («Je voulais avoir une période de recherche, de réflexion et d'écriture», indique-t-elle) devient initiatique quand elle se retrouve, une subvention plus tard, dans un village de la Saskatchewan situé à moins de 15 kilomètres du lieu où son grand-père avait immigré du Danemark et où sa mère était née.

Mais son périple prend aussi une dimension sociopolitique. «Toute cette vie rurale a beaucoup changé en dix ans seulement, relève Lin Snelling. Plusieurs villages ont disparu, les structures sont simplement abandonnées. C'est un peu l'impact de la mondialisation. Ça tue les petits fermiers.»

Souhaitant rapporter cette mémoire en voie de disparition, elle se propose de faire une chorégraphie-documentaire dans laquelle s'impliqueront deux autres collaborateurs, l'artiste-compositeur Michael Reinhard et la peintre Lorraine Pritchard. La chorégraphe a voulu respecter l'intégrité de chaque trajectoire artistique qui, tout en se liant à l'ensemble, préserve son autonomie.

«J'ai invité Michael à faire un documentaire à partir de sa propre vision», précise la danseuse. Caméra à la main, il a tourné sur le vif des fragments chorégraphiques de Lin Snelling dansant dans les fermes abandonnées. «Quand j'ai fait le premier montage là-bas, j'ai suivi la même chronologie que celle du tournage parce que j'ai trouvé que ça créait une histoire autour d'un personnage», explique M. Reinhard. «Un personnage qui erre et observe autour de lui», précise Lin Snelling. Ils ont aussi récolté des témoignages de fermiers de la région qui ponctueront ici et là la trame sonore.

En parallèle

Pour le spectacle, Lin Snelling a créé d'autres segments chorégraphiques qu'elle interprétera en direct et qui se superposeront parfois à la vidéo. Michael Reinhard a pour sa part écrit des textes, dont un qu'il déclamera lui-même sur scène, conçu un décor de scène évoquant les murs délabrés des fermes et composé la musique. «Ça commence dans le présent, avec une musique plus techno, puis viennent des airs plus rock, et, à la fin, c'est un chant de gorge inuit, vieux de quelque 200 ans», explique le compositeur.

Va-et-vient entre le passé et le présent, extinction met en parallèle vie urbaine de l'artiste et vie des fermiers. «Les fermiers et les artistes sont liés par la question de la survie», souligne-t-il. Le hasard du financement des uns ressemble parfois au caractère imprévisible du climat des autres.

Au quotidien très concret des fermiers, Lin Snelling confronte l'abstraction de son art, dont elle met aussi en question la pérennité dans le spectacle. «L'art est-il en voie d'extinction?, demande-t-elle. Si on parle un langage que personne ne comprend, est-ce que la danse et l'abstraction des idées vont continuer à survivre? Est-ce que ces abstractions communiquent quelque chose?»

«Je crois que les arts vivants sont en péril à cause de la télé et du divertissement», déplore pour sa part M. Reinhard. Toutefois, il constate que l'art conceptuel tel qu'on le pratiquait ces dernières décennies cède graduellement la place à un art plus pratique. Aujourd'hui, les artistes souhaitent d'abord «apprendre à jouer d'un instrument plutôt que de penser la musique». Un peu comme le retour à la terre qu'effectue la nouvelle génération...

D'ailleurs, si l'esprit de disparition hante tout le spectacle, il est aussi indissociablement lié au renouveau, à l'émergence d'une autre vie. «La vie sauvage, la faune, la végétation ont repris le dessus sur les structures abandonnées», note la chorégraphe. Comme quoi la fin d'un cycle correspond toujours au début d'un autre.

Sur scène, le réalisme rencontre la poésie alors que la peintre Lorraine Pritchard exécutera en direct des dessins que lui inspire la chorégraphie et les images qui se déploient devant elle. Autre témoin, autre documentaire...

Extinction, du 15 au 24 avril à l'Usine C

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