Décès de Martine Époque, l'une des mères de la danse contemporaine

La chorégraphe Martine Époque est considérée comme l’une des mères de la danse contemporaine du Québec.
Photo: Denis Poulin La chorégraphe Martine Époque est considérée comme l’une des mères de la danse contemporaine du Québec.

Son nom est méconnu. Elle est pourtant, auprès des Jeanne Renaud et Françoise Sullivan, une des mères de la danse contemporaine d’ici. Et c’est toute une communauté qui est frappée par le deuil à la suite du soudain décès de Martine Époque, le 18 janvier, à 76 ans. La chorégraphe, grande pédagogue, était cofondatrice de l’Agora de la danse, cofondatrice du Département de danse de l’UQAM, mais aussi fondatrice et chorégraphe au Groupe Nouvelle Aire. La scène de la danse contemporaine ne serait pas ce qu’elle est sans son apport, créatif et structurel.

« Quand les arts au Québec ont vraiment bouillonné, Martine Époque était présente. Tout le monde, pratiquement, chorégraphes comme interprètes, venait de passer par sa compagnie », explique l’historien de la danse Philip Szporer. « Je crois, objectivement, que le Groupe Nouvelle Aire a donné des racines et permis l’éclosion ce qu’on voit aujourd’hui sur scène. Sa compagnie offrait un lieu non seulement d’enseignement, mais de ressourcement artistique. »

Formidable incubateur

 

Fondée en 1968, un an après l’arrivée de Martine Époque, née dans le sud de la France, au Québec d’abord pour enseigner la rythmique (Dalcroze) et la danse à l’Université de Montréal, la compagnie verra passer Louise Lecavalier, Daniel Léveillé, Daniel Soulières, Paul-André Fortier, Édouard Lock, Louise Bédard, Ginette Laurin, Michèle Febvre… Et bien d’autres, qui brilleront sur scène, comme créateurs ou comme pédagogues. Et qui brillent encore. « La plupart des grands noms qui ont placé le Québec sur l’échiquier chorégraphique international ont fait leurs armes dans le formidable incubateur du Groupe Nouvelle Aire », rappelle la directrice du Regroupement québécois de la Danse, Fabienne Cabado.

« Le paysage chorégraphique [à l’arrivée de Martine Époque au Québec] me paraît, alors, quasi désertique et désespérant », écrivait Magdeleine Yerlès en introduction du livre de Mme Époque, Le Groupe Nouvelle Aire (PUQ, 1991). « Martine y verra l’inverse, soit l’immensité de l’espace culturel à occuper. » Nouvelle Aire est la troisième compagnie de danse du Québec, après les Grands Ballets Canadiens de Ludmilla Chiriaeff et le Groupe de la Place Royale fondé par Renaud et Peter Boneham.

« Martine Époque, c’était un rire, un soleil », se rappelle la danseuse étoile et chorégraphe Louise Lecavalier, qui a suivi, à 15 ans, des cours à Nouvelle Aire, avant de devenir apprentie, puis d’intégrer à 19 ans la compagnie pour quelques années. « Martine a su réunir tellement de gens différents. Aujourd’hui, je vois que, comme artistes, on s’agglutine souvent à des gens qui pensent comme nous. Elle ne faisait pas ça. Elle invitait plein de gens avec des backgrounds différents. Elle laissait la place à tout le monde pour que chacun puisse faire ses créations. Ce n’est pas peureux, ni protectionniste. Elle n’avait pas de parti pris esthétique. »

Photo: Denis Poulin Scène de la chorégraphie «Magnificat», en 1972

C’est aussi le souvenir de Fred Gravel, chorégraphe d’une génération, plus jeune, qui aura été l’étudiant de Martine Époque, puis son assistant de recherche, avant d’enseigner, quand elle se retirera de l’UQAM, le cours de création chorégraphique qu’elle donnait. « Elle a été un appui à ma carrière, m’a fait travailler, m’a donné de la job, de l’expérience. Elle est venue voir mes shows, elle restait ploguée. Elle m’a fait comprendre que c’est pas parce qu’on ne s’entend pas esthétiquement qu’on ne peut pas travailler ensemble. Elle embarquait les gens dans son buzz, elle arrivait à former des teams, à créer des partages. Elle avait une dévotion pour la recherche. Et pour la musique », se rappelle-t-il, de Banff, juste avant une représentation de Some Hope for the Bastards.

« Son importance vient du fait qu’elle a su donner aux autres la place pour créer », poursuit Philip Szporer, aussi professeur à Concordia, « pour qu’ils se forgent une identité, une signature distinctive. C’est fondamental pour une communauté comme la nôtre. Comme c’est fondamental d’avoir su monter un endroit de recherche, dynamique, plein d’effervescence, à un moment clé ».

La danse à l’université

En 1980, Martine Époque entre à l’UQAM comme professeure, dans ce qui s’appelle alors le Regroupement théâtre et danse. Elle œuvrera, avec Michèle Febvre, Sylvie Pinard et Iro Tembeck, à la fondation du Département de danse (1985), qu’elle dirigera pendant plus d’une décennie, rappelle Manon Levac. « Ce n’est pas rien. Faire entrer la danse à l’Université, c’était vraiment quelque chose », souligne la danseuse et actuelle directrice du Département. Mme Époque y a enseigné la rythmique, son répertoire, a composé pour les étudiants. « C’était une bonne pédagogue, très érudite, avec une grande culture musicale. Elle était excellente pour enseigner la création chorégraphique, avec sa “boîte chorégraphique”, une boîte à outils pour composer. Elle a toujours été excellente pour structurer, systématiser. »

Martine Époque est aussi du noyau de fondateurs de l’Agora de la danse. « Il fallait trouver de l’espace pour les locaux du nouveau département », se rappelle Florence Junca-Adenot, « et on s’est demandé comment on pouvait en profiter pour donner un boost pour que la danse contemporaine se développe activement ». Comme le Département ne pouvait utiliser toute l’ancienne Palestre Nationale, naît l’idée de l’Agora, « pour rapprocher l’université du monde professionnel, créer un lieu de diffusion pour tout le milieu, et encourager la création. Martine a dit “c’est super. On monte ça” », se remémore la présidente de l’Agora. Il y aura cette année 27 ans de ça.

Dès 1990, Mme Époque travaille à mixer les nouvelles technologies à ses chorégraphies, en intégrant des images 2D et 3D. Elle pense une danse sans corps, filmée (Coda, avec Denis Poulin), ou NoBody danse, un Sacre du printemps 3D stéréoscopique en infochorégraphie de particules pour l’écran, les deux avec son conjoint et partenaire, Denis Poulin, artiste du vidéo et de la danse. En 1999, ils fondent ensemble le labo LARTech. Le prix Denise-Pelletier avait été remis en 1994 à Mme Époque pour l’ensemble de son oeuvre et pour son apport aux arts vivants du Québec.

« Martine Époque a aussi oeuvré au développement de la discipline par son implication remarquable dans la formation professionnelle », poursuit Fabienne Cabado, « et par ses recherches et expérimentations précoces dans le champ de la vidéodanse et des technologies numériques. Avec son décès, c’est tout un pan de l’histoire de la danse qui disparaît ».

Le style d’Époque

Manon Levac, qui a fait partie du Groupe Nouvelle Aire, a dansé 18 chorégraphies de Martine Époque, surtout parmi les premières oeuvres. « Elle a été, toute une période, dans une sorte d’abstraction, où elle travaillait un mouvement clair, géométrique, des ensembles, des dispositions de groupe », dit-elle, nommant Diallèle (1975) et Amiboïsme (1970). « Elle a laissé ça pour une narration, presque de la danse-théâtre, avec des arguments même et des réponses. » Puis, petit à petit, la technologie est entrée dans son travail, la vidéo. « Comme interprète, j’ai énormément appris sur le rapport au temps avec elle, sur la clarté, la précision et le contrôle. C’était une personne très cérébrale et très sensible à la fois. Une figure maternelle pour moi. Et pour plusieurs personnes, je le sais. »


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