Danse - Narcisse des temps modernes
Avec Narcisse en silence, la chorégraphe et danseuse Mariko Tanabe fait une incursion plutôt réussie du côté du théâtre. Créé en collaboration avec le metteur en scène Jan Komarek, ce solo presque plus joué que dansé révèle des qualités d'interprétation qu'on ne connaissait pas à la soliste. Mais un flou demeure à la frontière de la danse et du théâtre, qui fait perdre, dans le passage d'une forme d'expression à l'autre, la puissance d'évocation propre à chacune.
La danseuse y incarne une Narcisse des temps modernes, en quête de son identité, presque à la limite de la schizophrénie. À l'image de la profonde solitude qui habite son personnage, la danseuse évolue dans un espace exigu de moins de trois mètres carrés, délimité par une ligne lumineuse. Comme décor, une petite table surmontée d'un miroir à plusieurs volets (dans lequel le public aussi peut se mirer) et une patère affublée de quelques vêtements qui serviront à ses métamorphoses successives.Car l'admiration obsessive qu'elle voue à sa propre beauté — ou le désir incommensurable d'être aimé — ne constitue pas tant le point central de la pièce que le point de jonction de toute une série de personnages ou de traits de personnalités qu'elle décline à travers de brefs tableaux.
Tantôt sensuelle, exhibitionniste, virile ou suicidaire, elle plonge aussi de manière récurrente dans sa mémoire japonaise lorsqu'elle s'adresse au public dans la langue de ses origines ou quand elle enfile son kimono pour exécuter une petite danse rituelle. Tandis que les gestes évoquent le combat ou la prostration, la victime ou le bourreau, les quelques textes parlent de sa beauté qu'elle veut immortelle. Des extraits sonores soigneusement montés - bruits de rue ou de conversations emmêlées, musique - permettent de faire la transition d'un état à l'autre.
Il y a toutefois ici et là des images convenues comme cette scène où elle embrasse son reflet dans le miroir. De plus, la nudité omniprésente, bien qu'elle suggère la vulnérabilité et l'amour propre du personnage, n'est pas toujours justifiée.
Mais il y a aussi de très beaux moments dans ce solo comme celui où la danseuse s'avance vers le public et lui tend son petit miroir, faisant jouer le reflet sur le visage des spectateurs, les avisant que ce narcissisme les guette tous. Dans une autre scène, elle dispose sur un cintre sa robe affublée d'un masque — son alter ego? —, tandis qu'une vidéo nous montre les images de personnes qui se dédoublent. Au fond, Narcisse cherche désespérément l'autre à travers elle-même...