Le corps-cosmos de Clara Furey

L’artiste Clara Furey explore les frontières de sa propre radicalité, finalement fort mouvantes.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L’artiste Clara Furey explore les frontières de sa propre radicalité, finalement fort mouvantes.

Comment appliquer des concepts physiques, simples et complexes, au corps humain ? Comment les chorégraphier ? Telles sont les questions posées par Clara Furey, artiste habituée aux collaborations (Untied Tales avec Peter Jasko, Ciguë avec Éric Arnal Burtschy), dans son prochain Cosmic Love, pour sept interprètes. Des questions qui oscillent du geste au chant et du sidéral à l’anatomique, avec un détour par le spirituel.

La danseuse, musicienne et chanteuse est réfractée, ces jours-ci, sur la performance qu’elle livre au Musée d’art contemporain dans le cadre de l’exposition Cohen, et sur sa première chorégraphie dirigée en solo. « Le cœur gestuel de Cosmic Love, la matrice, est tiré beaucoup de ma recherche pour le solo du musée », indiquait l’artiste attrapée en studio par Le Devoir. « Les deux processus ont existé en même temps. Pour le musée, je me suis penchée sur la pratique zen et de méditation de Cohen, sur la sincérité, sur la manière de trouver le mouvement juste — et pourquoi bouger ? » En résulte une performance de 90 minutes, When Even The, que le public est libre de regarder en tout ou quelques secondes, livrée pendant 90 jours aux côtés d’une sculpture de Marc Quinn. « Dans Cosmic Love, je voulais parler du cosmos, mais finalement les deux univers se rencontrent. » Micro « big bang ».

Pour sa composition de groupe, où elle danse aussi, la chorégraphe a été inspirée par le livre Le tao de la physique (1975, Sand pour la traduction française), où le physicien austro-américain Fritjof Capra trace des parallèles entre le mysticisme oriental et une vulgarisation de la physique subatomique. Elle a aimé l’approche intuitive des phénomènes physiques. « On peut tous y penser. C’est quoi, être en orbite ? C’est quoi, l’espace et le temps ? » Comment appréhender ces idées, et les incarner, et en jouer ? « On a d’abord essayé de représenter les phénomènes. On a, par exemple, carrément mis un danseur dans l’espace disant “toi, t’es le Soleil”, et un autre orbitant autour… On a commencé par des choses très naïves, qui à ce moment-là me touchaient beaucoup. »

Du spirituel dans l’art

Les artistes ont peu à peu délaissé l’illustration pour créer « des constellations. Et dans ces constellations, on est tout le temps en train d’écouter l’espace, les uns les autres, et le vide aussi. C’est du travail énergétique — on écoute ces liens, ces dynamismes dont le vide est chargé. Tout ça se mélange avec mes croyances : je crois au dénuement, au nettoyage, pour laisser la beauté qui existe déjà émaner. Il n’y a rien que l’on crée. On ne peut rien faire pour toucher, pour créer de la beauté. Elle est là. Dans les gens déjà, dans un corps, dans l’espace. »

 


La recherche s’est concentrée alors sur la constante transformation de l’énergie. « La glace qui devient de l’eau, qui devient de la vapeur, par exemple, comment ça peut se traduire dans le corps ? » demande encore Clara Furey. Et une empathie, pour les interprètes carrément tangibles, a émergé, en même temps « qu’un côté healing, guérisseur. Comme si en réfléchissant au vide sidéral, on avait fini par être très très in tune les uns envers les autres. J’ai l’impression qu’il y a un effet “thérapie de groupe”, même si je n’aime pas du tout ces mots-là, qui sonnent quétaines. Ça, c’était pas là au départ. Je crois que ça va faire des ripples [comme des ronds dans l’eau] et se rendre jusqu’au public ».

La musique (par le frère, Thomas Furey), et les éclairages (Alexandre Pilon-Guay) se construisent de manière autonome : « En coprésence, chacun tripe de son côté, et ça finit par se rencontrer. C’est très démocratique, comme processus. »

Clara Furey, entre la performance du MAC et sa prochaine présentation à Danse Danse, explore les frontières de sa propre radicalité, finalement fort mouvantes. « Suis-je capable d’adapter mes idées et mes intérêts aux espaces et aux circonstances qu’on me propose ? Oui. C’est peut-être ça, devenir un adulte ; et respecter où je suis. »

L’alphabet gestuel de Cosmic Love est minimal, annonce-t-elle, et le chant fait partie des matériaux. Un seul mantra, répété. « I need a mouth as wide as the sky. » « C’est une phrase de Rumi, qui ne donne pas de clé de la pièce. L’idée du corps qui devient plus grand que l’univers, je trouve ça beau », indique la créatrice. Des micros, en cercle autour du long tapis de danse blanc, capteront les voix, spatialisées ensuite à travers 16 haut-parleurs — du grand déploiement auditif. « Le chant pour moi est purement chorégraphique, il est là pour ouvrir le corps et l’espace, comme une autre façon d’être en lien, une manière différente d’écouter. »

Cette écoute naît particulièrement dans l’improvisation — la pièce en contient 50 %. « C’est un état où tu ne peux pas ne pas être en écoute, où tu ne peux pas ne pas être là pour l’autre. Il y a une structure très claire à la pièce, et on y est complètement soumis au moment. » Est-ce une chorégraphie, finalement, ou une pratique, comme celle du zen ? Certainement une pratique, répond Furey, une pratique esthétisée. Qui répond à son quotidien ces jours-ci (« je répète Cosmic Love, je me rends au musée, je danse une heure et demie en solo, je recommence… »). « Ça va avec le désir de laisser un espace d’introspection au public. Comme quand tu médites, tu peux ne rien découvrir ; tu peux t’y rencontrer ; tu peux y voir ce que tu y mets. La pièce est une représentation dans notre univers, qui est lui-même représentatif », conclut la chorégraphe.

Extrait de «Le tao de la physique», choisi par Clara Furey

« [L]’idéal classique d’une description objective de la nature n’est plus valide. Le dualisme cartésien du sujet et du monde, de l’observateur et de ce qui est observé, ne peut plus être utilisé lorsqu’on traite de la matière atomique. En physique atomique, nous ne pouvons jamais parler de la nature sans, simultanément, parler de nous-mêmes. »

 

Cosmic Love

Une chorégraphie de Clara Furey avec Clara Furey, Simon Portigal, Winnie Ho, Peter Jasko, Benjamin Kamino, Zoë Vos et Thomas Furey. Une présentation de Danse Danse, à Place des Arts, du 6 au 16 décembre.



À voir en vidéo