Un duel nuptial motorisé

L’asphalte comme support. La beauté brute d’un motard et de son engin conjuguée à l’esthétique flamboyante du baroque. La performance montée de toutes pièces par les Français Théo Mercier et François Chaignaud détone. Le Devoir s’est entretenu avec l’artiste plasticien, initiateur du projet, et le chorégraphe, acteur de cette performance prenant place dans un stationnement de la Cité internationale de Montréal devenu pour l’occasion le théâtre d’une parade nuptiale motorisée.
« Mon premier personnage, c’est le parking », affirme Théo Mercier (auteur de la sculpture en spaghetti Le solitaire). « C’est un lieu de nuit absolu, où il ne fait jamais jour. À la fois fantasme et symbole de nos enfers contemporains. Cet espace universel se prêtait à l’invention d’un nouveau mythe urbain plutôt qu’à une histoire. » L’artiste exploite, de manière visuelle et sonore, l’imaginaire fantasmagorique et la désorientation propre au souterrain : « Dans ces espaces, l’air est filtré, gardé à la même température. Sous terre, il est facile de perdre la notion du temps et des saisons. »
Sur le bitume se joue un duel entre un cascadeur sur sa moto — objet qui se conçoit comme une extension du corps — et un être hybride, inidentifiable sur le plan du sexe, du genre, de l’époque et de la provenance, incarné par François Chaignaud (Mimosa, Alterned Natives). Au clavecin, Marie-Pierre Brabant devient femme-radio, chef d’orchestre des désirs et des angoisses du souterrain.
« J’ai aimé la superposition de deux niveaux d’écriture, entre [la composition] visuelle et symbolique de Théo et celle concrète, microscopique, sans cesse renouvelée en temps réel de nous trois au plateau, chacun dans notre discipline », écrit le danseur dans un courriel. « Le son, le rythme, le chant, le souffle, le moteur et les cordes pincées du clavecin dessinent une pièce aussi sonore que visuelle. »
Masquer le danger
Pour bâtir cet affrontement, les artistes se sont inspirés de la station de radio lancée par Vinci, prestataire de stationnements présent internationalement (aujourd’hui rebaptisé Indigo). Censée apporter une atmosphère élégante et rassurante, cette radio diffuse des airs classiques et baroques à un volume juste assez bas pour permettre d’entendre les bruits de pas d’un potentiel prédateur.
« J’étais désireux de travailler la musique comme un élément pour chasser ou masquer le danger ; d’exploiter aussi le lien visuel entre la mécanique de la moto et celle du clavecin, tous deux objets d’excellence, issus de temps différents et demandant une maîtrise parfaite. Je propose ici un objet transversal qui enjamberait les époques », explique Théo Mercier. Un aspect qu’on retrouve dans ses sculptures.
La création comporte aussi bien des références cinématographiques (de Crash de David Cronenberg au Parking de Jacques Demy) qu’à la tauromachie, au flamenco et à certains rites chamaniques mexicains. « Ces références portent sur la mémoire et les enjeux de traditions théâtrales et spectaculaires très différentes de celles de la danse moderne desquelles je suis issu », reprend François Chaignaud. « J’ai aimé le danger, la simplicité, la brutalité de la proposition et l’intensité de l’engagement qu’elle suppose […]. Les cascadeurs m’ont très vite paru des artistes d’une actualité toxique, qui transforment l’émission de gaz en art, en défi, en dépense, en pur jeu et pure perte. »
Dans son corps à corps avec la moto, le performeur dit se contenter de danser. « Le public est là pour lire, évaluer et craindre le danger. Je danse avec chaque élément que je porte en moi, que l’espace et le public offrent, et que le motard et son engin rendent disponible, perceptible. C’est une épreuve chamanique, un crépitement, un combat sans haine, une étreinte sans résolution. »
Chorégraphie carnivore et prédatrice, Radio Vinci Park propose un regard riche, pluriel et assez peu conformiste sur la relation amoureuse, tout en remettant en question l’architecture et l’urbanisme des espaces urbains contemporains.