La tête piégée dans les nuages

Une tendresse enveloppante se dégage du quatuor classieux de Bryan Arias, A Rather Lovely Thing. Pour sa première présentation à Montréal, le jeune New-Yorkais choisissait de montrer sa plus récente pièce traitant avec légèreté et un soupçon d’humour du temps qui passe. Une oeuvre poétique et onirique, à la volupté finissant par devenir excessive.
S’ouvrant sur une scène nocturne, au fur et à mesure que l’on plonge dans le rêve, le paysage sonore prend des aspects urbains. Une corde à linge traverse la scène côté jardin. D’une fenêtre suspendue s’immisce le bruit ambiant des voix inconnues de passants marchant dans la rue. Comme une conscience à moitié endormie, on perçoit de loin le bruit de la pluie s’abattant sur l’asphalte.
D’une introduction plutôt réussie se détache le solo de Jermaine Spivey, figure troublante portant un masque de vieil homme blanc, se tournant face au public pour ensuite mieux lui tourner le dos. En allers-retours et volte-face depuis le centre de la scène, la gestuelle est ancrée dans les bras entre fluidité et nervosité. En arrière-plan, le trio Ana Maria Lucaciu, Spenser Theberge et Bryan Arias déplace une chaise, curieux objet modulable qui se déplie et se replie, dans lequel ils finissent par imbriquer leurs corps de manière circassienne.
Dans cette atmosphère nébuleuse et tamisée, les quatre parfaits virtuoses habitent tour à tour en solo, duo et trio une scénographie épurée qui se métamorphosera au gré des changements d’éclairages très efficaces. Parfois acrobatique, la danse est théâtrale, ludique et élégante. La complicité palpable entre les danseurs tisse une ode à la solidarité, trouvant ses points culminants dans les trios et quatuors formant une chaîne humaine se déplaçant à travers des portés en relais.
Un songe plutôt lisse
Et cette douceur qu’on soulignait d’entrée de jeu persiste. Tant et si bien qu’on reste en attente de quelque chose qui viendrait nous mordre, nous donner rien qu’un petit coup de dent ; hormis cette figure de vieillesse se jouant du temps, brillamment mise en scène, ouvrant la proposition pour être reprise par Arias lui-même dans un solo remarquable venant clore la boucle aux sons des méditations de Nina Simone sur le temps, ce vrai dictateur.
Bien qu’on surlignera des images saisissantes entre l’entrée et la sortie du songe (l’homme à la tête de nuage, la course circulaire et infinie d’un flambeau olympique), il manque dans cet interstice un climax. Notons aussi le « pas de deux » de Jermaine Spivey et Ana Lucia Lucaciu offrant une belle sensibilité, des mouvements finement régulés et unis qui ne laissent rien dépasser. C’est cette esthétique léchée qui finit par nuire à A Rather Lovely Thing, d’où n’émergent que peu de prises de risque.
Sur une bande sonore intéressante, tantôt romantique, tantôt mélancolique (cordes, piano), d’où des sonorités ambiantes familières donnant la sensation d’être dans un rêve semi-éveillé, l’écriture chorégraphique de Bryan Arias reste prometteuse et sans prétention. Il est certain qu’elle réussira à conquérir les plus fleur bleue, mais reste qu’elle agacera ceux qui aiment moins être caressés dans le sens du poil.