Bryan Arias: devenir chorégraphe

C’est par sa plus récente création, le quatuor «a rather lovely thing», qu’on pourra rencontrer à Montréal le travail de l’ancien danseur Bryan Arias.
Photo: Christopher Duggan C’est par sa plus récente création, le quatuor «a rather lovely thing», qu’on pourra rencontrer à Montréal le travail de l’ancien danseur Bryan Arias.

Il a commencé à l’adolescence par le hip hop, à entrer dans le cercle des danseurs sur une musique défonce-tympans pour improviser. « Même s’il y a beaucoup de style libre en hip hop, on est toujours en train d’y organiser le mouvement. Je pense que c’est inconsciemment là que j’ai commencé à mettre des gestes ensemble, à chorégraphier, en quelque sorte », indique le New-Yorkais Bryan Arias. Il a poursuivi avec le ballet à New York, puis avec la danse contemporaine, accumulant une très solide technique qui lui a permis d’interpréter les pas des Jiri Kylian, Ohad Naharin, Crystal Pite, et de danser pour Nederlands Dans Theater. Avant de tout lâcher, à 24 ans. Parce qu’il « avait, comme danseur, atteint cette limite où [il n’arrivait] plus à entrer en relation avec les spectateurs comme il le souhaitait ». Sa solution ? Chercher sa propre voix ; devenir chorégraphe.

C’est par sa plus récente création, le quatuor a rather lovely thing, qu’on pourra rencontrer à Montréal son travail. « C’est une méditation sur le temps, expliquait le créateur au Devoir en entrevue téléphonique, une sorte de boucle qui commence à débuter à la fin, si je puis dire. Une réflexion, pas littérale, sur ces simples moments où on expérimente la grâce : quand on se tient au bord d’une grande décision, quand on ressent le réel amour ; quand on assume alors que le monde nous traverse, et qu’on l’expérimente vraiment.

L’important, ce n’est pas la chute

Le nouveau chorégraphe, qui vient d’avoir 30 ans, s’est lui-même tenu au seuil d’une grande décision. Interprète au Nederlands Dans Theater — une des compagnies mondialement reconnues, et une des rares qui permet aux danseurs de vieillir en son sein —, il frappe un mur. Comme s’il ne lui était plus possible de partager la voix des autres. « On allait m’y offrir comme on le fait là un contrat à vie. J’avais 24 ans. Savoir déjà de quoi serait fait mon futur, le reste de ma vie, me mettait mal à l’aise. Si ça semblait effrayant de quitter ce confort, cette structure connue, cet endroit où j’avais fait certaines de mes meilleures danses, je croyais qu’en allant vers l’inconnu, je ferais le nécessaire pour suivre mon coeur, et instinctivement rajouter dans ma vie davantage de ce que je voulais y voir. Et oui, j’ai sauté. » Avec l’aide de professeurs et mentors, et quelques coups de chance, ce fut un envol plutôt qu’une chute.

Qu’est-ce qui l’a surpris, dans cette traversée du miroir ? « L’inconfort. Le malaise dans lequel je me retrouve lorsqu’on présente, lorsque je danse. Comme interprète, j’ai été nerveux, mais je sais comment conquérir cette peur, comment gagner de l’aisance et de la force afin d’aller là, sur scène, performer, et devenir un vaisseau pour la pensée d’un chorégraphe. Mais comme chorégraphe… argh… c’est tellement dur ! », grogne-t-il au bout du fil, semblant souffrir, vraiment. « Mais c’est aussi ce que j’aime en fait ! Je me sens si vulnérable. J’aime partager, mais c’est si… argh… si effrayant ! Je veux que mon travail soit très transparent, très honnête, et aimé par le plus de personnes possible… » Les danseurs dont il s’entoure sont de grands techniciens, et hyperexpressifs. C’est qu’Arias veut jouer entre les images et la sensation, entre le rêve et l’imaginaire, entre l’intime exprimé et la composition d’images.

Se trouver à travers les autres

Et, question récurrente, comment trouver son style quand on a été le matériau de grands auteurs de la danse ? « J’ai un peu bataillé au début. Je faisais un mouvement, me disais “ça, c’est kyllianien”, ou “ça, c’est Crystal”, et j’étais très critique alors de ce que je voyais de mon corps, de ma façon de bouger. Je ne me souviens pas du moment où ça a disparu, mais je sais que ça a tenu à l’acceptation que ces grands-là font partie de moi, et que de les voir dans mon travail, dans mon corps, dans le corps d’autres danseurs, me permet aussi de voir davantage ma propre voix. Ils sont encore là. Mais aussi mon histoire, mon aventure à moi, celle du fils d’un immigrant de Porto Rico, à New York, qui a voyagé en Hollande, qui est reparti, toutes ces expériences, ces connexions et ces rencontres, mystérieuses, avec des gens qui m’ont aidé à me rapprocher de mon rêve. » Toutes ces voix sont là, encore, conclut-il. Mais digérées, en quelque sorte.

Une chorégraphie de Bryan Arias pour quatre interprètes. Présentée par Danse Danse. À la Cinquième salle de la Place des Arts, du 11 au 15 octobre

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