Du baroque au corps contemporain

Photo: Andre Pinnola

Puissante spirituellement et émotionnellement, la musique de Jean-Sébastien Bach est un monument baroque en soi. Danser sur Bach, c’est s’atteler à enrichir le contrepoint, ajouter une portée parallèle à la partition, se placer en filigrane des lignes mélodiques qui se superposent. Un défi que relèvent avec brio et sans trop de fioritures les huit Brésiliens de Focus Cia de Dança dans la nef reconvertie de la salle Bourgie.

En silence, l’entrée des danseurs se fait par l’allée gauche destinée au public pour la pièce In-finito, chorégraphiée spécialement pour l’architecture des lieux. Tour à tour les danseurs se hissent sur la scène et se glissent sur le rebord, comme sur le fil d’un rasoir, pour en sortir par l’aile droite destinée aux spectateurs. En équerre, ils épousent les contours aigus de la scène de leurs flancs, de leur tête, de leur abdomen. Insensibles au vertige, ils évoluent entre déséquilibre, chute rattrapée à ras du sol et succinctes montées et descentes vers le public. Funambules téméraires vêtus sobrement de noir, dos tournés au public, les huit danseurs — dont le chorégraphe Alex Neoral — s’élancent dans des unissons en duo, trio, quatuor, dessinant dans l’espace des lignes chorégraphiques rotatives et rampantes, se mêlant aux mélodies du clavecin et du violon de la Sonate no 5 interprétée par les musiciens présents sur scène côté cour.

Une danse-relais s’esquisse. Le mouvement initié par un des danseurs se déplace de corps en corps, résonnant sur le sol lorsque ceux-ci chutent les uns à la suite des autres, ayant pour effet de créer une dissonance avec l’aspect solennel de la musique. Avec ses rythmes multiples et éclatés, cette pièce introductive s’avère être la plus osée et la plus percutante des trois présentées lors de ce programme triple.

La dissonance ou l’ornement ?

Second moment chorégraphique, Interpret se déploie sur la Chaconne, une oeuvre des plus complexes de Bach, exécutée par le violoniste Olivier Brault, se déplaçant d’un cercle de lumière à l’autre dans l’espace. Au pas de course, les cinq danseurs s’entraînent brutalement dans des chutes amorties par des roulades. La force de cette pièce repose sur les rondes des danseurs qui, prenant appui sur les torses, les bras de la mêlée se catapultent pour s’évacuer du groupe. Cependant, lorsque cette hydre se dissout, la danse se fait plus ornementale et dépendante de la musique. Le phrasé chorégraphique colle de (trop) près au rythme de l’archet. Pour cette raison, elle est sans doute la moins convaincante des trois partitions dansées, alors qu’il semblait que le parti pris soit la dissonance dans In-finito.

Portés acrobatiques et chutes nerveuses se poursuivent dans Um a Um, plus colorée et laissant place à des changements de vitesse sur musique de chambre. Séries de face-à-face, où sept danseurs interchangent leurs partenaires, tout en glissant entre fluidité et immobilité. Les lignes chorégraphiques se juxtaposent et cohabitent l’espace.

Soulignons les magnifiques portés renversés dans les duos masculins d’Alex Neoral, dont la présence scénique ne laisse définitivement pas indifférent. On décèle dans ce troisième mouvement de la soirée certains motifs de Por Partes (première pièce du chorégraphe, présentée en extérieur pendant Quartiers Danses), avec ces corps qui s’imbriquent pour mieux fabriquer des figures harmonieuses et hybrides.

L’écriture chorégraphique de Focus Cia de Dança ne présente aucun temps mort, mais a tout à gagner dans la densité des contrepoints qu’elle compose parallèlement à la musique de Bach, lorsqu’on sent que la danse s’émancipe véritablement de la musique, qu’elle résiste à se faire ornement pour mieux s’y inscrire en filigrane. Ce pas, Alex Neoral le franchit, avec cette toute récente pièce, In-finito, que les huit Cariocas nous proposaient d’entrée de jeu.

Dernier rendez-vous

Après près de deux semaines intenses de découvertes et de retrouvailles foisonnantes, le festival Quartiers Danses est sur le point de se clore. Ce samedi 17 septembre, on pourra retrouver Focus Cia de Dança avec le spectacle As cançoes que você dançou pra mim, une création incontournable de la compagnie d’Alex Neoral, composée à partir des chansons du crooner Roberto Carlos. Son motif central : un baiser amoureux de cinq minutes. Un dernier rendez-vous à ne pas manquer.

Focus Cia de Dança et musique de J.S. Bach

Directeur et chorégraphe : Alex Neoral. Interprètes : Alex Neoral, Carol Pires, Clarice Silva, Cosme Gregory, Felipe Padilha, Gabriela Leite, Marcio Jahú, Mônica Burity. Musique : Jean-Sébastien Bach. Musiciens sur scène : Olivier Brault (violon), Elinor Frey (violoncelle), Mélisandre McNabney (clavecin). Le 15 septembre à la salle Bourgie du Musée des beaux-arts.



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