Une superhéroïne, à armes égales

De passage à Montréal pour le festival Quartiers Danses, l’artiste franco-béninoise Julie Dossavi présentera trois créations de son répertoire, dont une nouvelle performance engagée et déjantée.
Volontairement has been, affublée d’une perruque afro et d’accessoires kitsch, avec son fidèle majordome qui ne lui sert à rien, la Juju est l’alter ego fantasque de Julie Dossavi. Superhéroïne sortie tout droit de l’imagination de la chorégraphe, elle possède le pouvoir de remonter l’espace-temps jusqu’à ses racines africaines.
Née en France de parents béninois, la chorégraphe a investi une importante part d’elle-même dans ce personnage. Danseuse interprète d’expérience ayant fondé sa compagnie en 2003, à 48 ans, celle-ci semble arrivée à un tournant de son parcours artistique. « Après plus de 25 ans de carrière, je veux maintenant toucher à d’autres choses et évoluer d’une autre manière. Je n’ai plus spécialement envie de faire de la “belle danse”, mais plutôt de passer des messages, de toucher et de secouer un peu les gens, tout en les faisant rire », affirme-t-elle.
Fan de l’univers Marvel, elle s’en inspire pour ce spectacle familial se voulant avant tout rassembleur. « Peu importe l’âge, mes créations sont destinées à tous. J’ai besoin que les gens se mélangent, que le public soit multigénérationnel. Pour moi, un spectacle de cet ordre doit pouvoir sensibiliser tout le monde », explique-t-elle. Car même si le ton en est léger et humoristique, abordant l’histoire des colonisations et des guerres d’indépendance de l’Afrique, les enjeux au coeur de La Juju sont des plus épineux.
« C’est la première fois que je mets à plat ces sujets-là, affirme l’artiste. Je voulais parler de l’histoire des relations entre l’Occident et l’Afrique, mais sans basculer dans l’accusation. Dans cette pièce, je fais juste une constatation : voilà ce qu’il s’est passé il y a longtemps ; maintenant, sans oublier, continuons d’avancer ensemble. »
Un parcours de combattante
Parfois brimée dans la structure où elle évoluait, l’artiste révèle dans ce spectacle les marques d’un parcours semé d’embûches. « En vivant en Europe, tout particulièrement en France, ce n’est pas facile d’être femme, artiste et Noire. Ajoutez à ça une danse bizarre ! dit-elle, un rire dans la voix. Quand je suis arrivée dans le milieu de la danse, j’étais un peu comme un ovni. Je m’estime assez chanceuse, parce que je suis une battante. Je me suis battue pour imposer mes idées et mon statut. »
Julie Dossavi ne manque pas de remarquer qu’en danse contemporaine, en Europe, à ce jour, les hommes cartonnent. Ce sont eux qui sont à la tête de la plupart des centres chorégraphiques. Idem au niveau des programmateurs, où on trouve encore assez peu de femmes. « Il y a vraiment un déséquilibre injuste que je n’arrive pas à saisir. Il reste en tout cas encore beaucoup de chemin à faire pour parvenir à la parité, dans notre milieu tout comme en société. » Une cause pour laquelle elle se bat, convaincue que c’est à travers l’art et la culture que les choses vont bouger.
« Je voulais vraiment qu’il y ait une dimension politique dans ce spectacle parlant de la femme, de sa force, aussi de la soumission que certaines femmes ont pu vivre par rapport aux hommes. Même si mes autres créations évoquent la condition féminine, je n’avais jamais fait un spectacle de cet ordre-là. Dans La Juju, pour y parvenir, je chante, je danse, je parle, je performe », explique celle qui a fait spécialement appel à un dramaturge.
Venant de faire un passage remarqué au Festival d’Avignon, elle opère dans cette récente création une fusion chorégraphique, au confluent des danses urbaines (hip-hop, voguing) et contemporaine. Proche de l’actualité, elle a développé cette signature aux côtés d’artistes d’horizons multiples croisés sur son chemin. Aux platines d’une machine musicale intersidérale, son partenaire Yvan Talbot est le médiateur de ce voyage musical qui transportera la danseuse sur les rythmes de l’afrobeat, inspiré du highlife et de l’Afrique de l’Ouest des années 1960 à 1980.
La Juju de et avec Julie Dossavi. Compositeur musical et interprète : Yvan Talbot. Dramaturge : Roberto Fratini Serafide. Le 11 septembre à la Maison de la culture Maisonneuve dans le cadre de Quartiers Danses. À chaque vent le papillon se déplace sur le saule, le 9 septembre à 11 h 30 (place des Festivals), et Adjalin, le 10 septembre à 11 h 30 (place d’Armes).
Rencontre musicale avec la diaspora africaine
Ouvert sur le rayonnement culturel de l’Afrique, Quartiers Danses proposera une ciné-conférence sur un épisode du webdocumentaire 400 jours à rebours réalisé par Marie-Claude Fournier. Celle-ci suit de près le projet international BOW’T TRAIL de Rhodnie Désir (rencontrée par Le Devoir le mois dernier), partie à la rencontre de la diaspora africaine pour étudier, documenter et préserver l’héritage rythmique ancestral des pays africains et afrodescendants. Parcourant une quarantaine de pays, le travail de la chorégraphe montréalaise d’ascendance haïtienne se penche à la fois sur les thèmes de la migration et de la déportation, ainsi que sur l’histoire de l’esclavage et des impacts de la traite négrière. Cet épisode nous emmènera en Martinique, à la rencontre d’acteurs locaux engagés dans la valorisation de la culture bèlè, en particulier d’un tambourinaire auprès de qui l’artiste a effectué le premier pan de sa recherche et création.À l’auditorium Maxwell-Cumming du Musée des beaux-arts, le 11 septembre à 15 h.