Nirvana de bébelles

Pichet debout, Alvin assis
Photo: Chris Randle Pichet debout, Alvin assis

En provenance de Bangkok, le danseur de haut vol Pichet Klunchun dévoile la danse thaïlandaise du Khon avec le chorégraphe canado-philippin Alvin Erasga Tolentino pendant une performance délirante et loufoque. Une critique brillante, savoureuse et festive du consumérisme contemporain et de la marchandisation de la culture thaïlandaise.

Partout sur le théâtre du MAI, des dinosaures lumineux mécaniques, des poupées thaïlandaises, des dragons en peluche, des guirlandes de fleurs, un bouddha rutilant et bien d’autres bébelles colorées. Pas de chaises, on nous invite à déambuler librement et, si on le souhaite, à prendre des photos pour les publier sur le réseau social de notre choix.

« Bienvenue en Thaïlande ! » lancent deux hommes affables en chemise hawaïenne, qui se déhanchent comme en boîte de nuit, devant un écran qui projette des clips de musique. Ils brandissent divers objets de pacotille, en font la promotion de manière hilarante et éhontée, nous disent de sortir nos cartes Visa. Incursion dans un marché nocturne thaïlandais et sa caverne d’Ali Baba. « Everything is cheap, Thaïland is amazing ! » s’écrie Alvin Erasga Tolentino.

Pichet Klunchun et Alvin Erasga Tolentino en font des tonnes, ça fuse de partout. Ils nous proposent une poudre blanche et Tolentino la teste sur lui pour nous convaincre : « I am white ! It’s my dream ! » Klunchun demande à l’assistance si quelqu’un est bouddhiste, tout déçu par la réponse négative, car il a un CD de musique bouddhiste à vendre.

Khon pollinisé

 

Il y a 10 ans, Pichet Klunchun racontait et dansait le Khon, cette combinaison thaïlandaise de théâtre et de danse interprétée traditionnellement par des hommes masqués devant le roi, dans Pichet Klunchun and myself, une création avec Jérôme Bel. On apprenait entre autres que les spectacles de Khon n’intéressent plus que les touristes aujourd’hui. On y voyait la danse, gracieuse, sophistiquée et narrative, avec ses quatre personnages de monstre, de singe, d’homme et de femme.

Pas beaucoup de Khon ce soir, sauf lorsque Pichet Klunchun, harnaché de guirlandes de fleurs et d’un jouet-fusil sonore, avec un dinosaure vert comme couvre-chef, interprète quelques pas de la danse royale, s’attardant au singe de manière quelque peu moqueuse et livrant quelques explications. « Ceci est une performance traditionnelle », indique-t-il. La musique genre MTV se mélange à la musique traditionnelle. Klunchun repasse vite en mode performatif. On sourit lorsqu’on se rappelle Klunchun réclamant à Jérôme Bel de la danse technique et spectaculaire.

La pièce vire au party sous la boule à facettes, les projecteurs et le stroboscope. Le sol est jonché de jouets mécaniques en branle : dinosaures, mammouths et oursons, toute la ménagerie. La musique techno est assourdissante. En lunettes de soleil et perruque, les chorégraphes nous convient à lancer de petits cerceaux sur des poupées thaïlandaises. Si on gagne, on a un prix. On se croirait dans un Club Med sous les tropiques.

Saturés sensoriellement, guettant les joujoux qui traversent la salle, on ne remarque pas tout de suite que Tolentino et Klunchun se sont esquivés. Ils sont dans un coin de la salle, enveloppés des oripeaux orange des moines bouddhistes, priant devant un autel… de bébelles. Leur transe devient épileptique, alors qu’ils s’engagent dans une procession sous amphétamines, nous souhaitant avec emphase le bonheur, la santé et, surtout, la richesse. Ou une promotion si on est employés.


Tristes tropiques

Les deux acolytes livrent de manière ludique et festive, sans s’embarrasser de subtilité et avec humour, une critique du consumérisme, ciblant aussi bien la société thaïlandaise, la dévotion bouddhiste et la volonté de rentabilité économique, que les touristes occidentaux qui partent à la recherche de soleil, d’exotisme et de traditions. Unwrapping culture traite aussi de l’assujettissement de la culture locale à l’impérialisme.

Intelligente, audacieuse, foldingue, la pièce est très réussie et on s’amuse beaucoup, ce qui ne gâche rien. On aurait bien aimé voir un peu plus de Khon, mais le propos était ailleurs.

Unwrapping culture s’en va à Bangkok après Montréal. On se demande quelles seront les réactions là-bas, lorsqu’on sait que le respect de la liberté d’expression a beaucoup pâti de la prise de pouvoir de Prayuth Chan-ocha. C’est peut-être la raison de l’absence d’une critique de la monarchie et de son culte (ou alors très, très subtile).

Unwrapping culture

De Pichet Klunchun. Avec Pichet Klunchun et Alvin Erasga Tolentino. Du 23 au 24 octobre au MAI

À voir en vidéo